Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0831

Louis Conard (Volume 5p. 194-195).

831. À LA PRINCESSE MATHILDE.
Nuit de samedi [décembre 1865].

Votre Altesse m’ayant permis de lui demander quelquefois de ses nouvelles, c’est ce que je fais, aujourd’hui, Princesse, en vous priant de m’envoyer un peu de votre écriture.

Voilà un bien mauvais temps pour votre atelier, et vos toiles, par ces tristes lumières, doivent rester sur le chevalet.

Mais je doute que les jours de Paris soient aussi abominables que les nuits de Croisset. Le vent, la pluie, la grêle, « tous les éléments sont déchaînés », comme disent les poètes tragiques ; et je passe des heures qui manquent de gaieté. Surtout quand je pense à la rue de Courcelles, ce qui souvent arrive. Le temps, du reste, n’est pas aux humeurs folâtres. J’ai reçu des Goncourt une épître où ils me paraissent s’ennuyer démesurément. L’homme de lettres est un animal mélancolique. Et puis il leur manque tant de choses, à ces pauvres gens ! Toujours quelque tempête les secoue !

J’ai déjeuné dernièrement avec un homme bien d’aplomb, M. Leroy, le Préfet de Rouen.

Il m’a fait boire à votre santé, et m’a parlé de vous, Princesse, en des termes qui m’ont attendri.

C’est, à ce qu’il paraît, mon rival en sucre de pomme. J’espérais le dépasser par les cheminots, mais on n’en fait pas encore. Que ne suis-je boulanger !

Voilà le jour de l’an, bientôt. Que les visites vous soient légères ! N’est-ce pas, actuellement, le souhait convenable ? Et soignez-vous ! Prenez garde à ces affreux brouillards.

J’attends avec impatience le moment où je pourrai vous voir et vous assurer de nouveau, Princesse, que je suis votre très humble et sincèrement dévoué et affectionné

G. Flaubert.