Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0826
Que veux-tu que je te dise ? J’ai passé moi-même par là, et je sais qu’en ces désastres[1] les prétendues consolations que l’on vous donne irritent plus qu’elles n’apaisent. Depuis dix jours, je ne fais absolument que songer à toi, à ta pauvre mère, à tous les tiens, à tous les autres disparus ! Nous avons tant de souvenirs communs, notre vie a été si mêlée pendant longtemps, que nos cœurs doivent encore battre à l’unisson dans de certains jours.
Si quelque chose peut amener un peu de douceur dans ton chagrin, c’est de penser que tu as fait le bonheur et l’orgueil de celle qui n’est plus. Tu n’as à te reprocher envers elle ni une mauvaise action, ni un mot brutal, et sa dernière pensée (si elle a vu sa fin) a été, j’en suis sûr, une bénédiction pour toi.
Mon pauvre cher Ernest, je t’embrasse plus tendrement que jamais, et seul, au coin de mon feu, je converse de loin avec toi, pour pleurer ensemble !
Adieu, mon plus vieil et meilleur ami ! Tâche de t’occuper le plus possible, de t’étourdir par le travail, c’est encore le meilleur cataplasme qu’il y ait pour les blessures de la vie.
Mille tendresses du fond de l’âme.
- ↑ Mort de Mme Chevalier, née Mignot.