Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0813

Louis Conard (Volume 5p. 172-173).

813. À LA PRINCESSE MATHILDE.
Mardi [mai 1865].
Princesse,

Je ne vous ai pas donné de mes nouvelles depuis mon retour, parce qu’elles sont mauvaises et qu’on ne doit pas ennuyer ses amis avec l’étalage de ses souffrances lorsque les amis n’y peuvent rien.

Qu’ai-je, au juste ? Voilà le problème. Ce qu’il y a de sûr c’est que je deviens hypocondriaque, ma pauvre cervelle est fatiguée. On me dit de me distraire ; mais à quoi ?

Ma nièce s’est établie ici, pour me remonter.

Elle restera jusqu’au mois de juillet, après quoi il est probable que je passerai le reste de l’été à Dieppe.

Peut-être un de ces jours me réveillerai-je ragaillardi ? Mais les jours se suivent lentement sans m’apporter rien d’agréable. Je suis assailli par les souvenirs tristes et tout m’apparaît comme enveloppé d’un voile noir. Enfin je suis maintenant un pitoyable monsieur.

Est-ce le commencement de la fin, ou une maladie passagère ? J’essaye de divers remèdes ; entr’autres, je ne fume plus, ou presque plus.

Merci, chère Princesse, pour vos offres d’hospitalité. J’en userai, mais quand je serai montrable. Pour le moment, je vous ennuierais trop, vous et les vôtres.

Il y a toute une page de votre lettre que je ne puis lire, malgré tous mes efforts ; il me semble que vous m’y parlez de Mme Cornu. Mais je n’en suis pas sûr.

Dès qu’il y aura un changement dans mon état, je vous écrirai. Espérons qu’avec de la patience tout s’en ira.

Je vous baise les deux mains, Princesse, et suis vôtre

entièrement.
G. Flaubert.