Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0795
[.....] Je pourrais dans quelque temps faire un cours sur le socialisme : j’en connais, du moins, tout l’esprit et le sens. Je viens d’avaler Lamennais, Saint-Simon, Fourier et je reprends Proudhon d’un bout à l’autre. Si on veut ne rien connaître de tous ces gens-là, c’est de lire les critiques et les résumés faits sur eux ; car on les a toujours réfutés ou exaltés, mais jamais exposés. Il y a une chose saillante et qui les lie tous : c’est la haine de la liberté, la haine de la Révolution française et de la philosophie. Ce sont tous des bonshommes du moyen âge, esprits enfoncés dans le passé. Et quels cuistres ! quels pions ! Des séminaristes en goguette ou des caissiers en délire. S’ils n’ont pas réussi en 48, c’est qu’ils étaient en dehors du grand courant traditionnel. Le socialisme est une face du passé, comme le jésuitisme une autre. Le grand maître de Saint-Simon était M. de Maistre et l’on n’a pas dit tout ce que Proudhon et Louis Blanc ont pris à Lamennais. L’école de Lyon, qui a été la plus active, est toute mystique à la façon des Lollards. Les bourgeois n’ont rien compris à tout cela. On a senti instinctivement ce qui fait le fond de toutes les utopies sociales : la tyrannie, l’antinature, la mort de l’âme. [.....].