Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0767

Louis Conard (Volume 5p. 114-115).

767. À JULES DUPLAN.
Mardi 3 novembre 1863.

Oui, voilà bien longtemps, mon pauvre vieux, que nous ne nous sommes vus. Un peu de patience ! Nous aurons ce plaisir dans une dizaine de jours, au milieu ou à la fin de la semaine prochaine, au plus tard, car j’ai fini le Château des cœurs depuis mercredi dernier. Il ne reste plus que les vers (dont j’ai fait l’esquisse) à écrire. Je suis bien curieux de te montrer cela. Présentement je m’occupe de lectures relatives à ma préface.

Monseigneur a passé par des états déplorables. Telle est la raison de son silence vis-à-vis de toi et de son inaction dans la féerie. Car il n’a jusqu’à présent rien fait. 1o  Sachant que Fournier ne voulait lui jouer Faustine que dans un an, il a retiré sa pièce. 2o  Fournier a déclaré n’avoir pas l’argent de son indemnité. 3o  Doucet lui a fait faire un manuscrit pour le montrer aux grands. 4o  Ledit Doucet a donné ce manuscrit à Thierry. 5o  Bouilhet a été sur le point d’intenter un procès à Fournier. 6o  Le même Fournier, samedi dernier, lui a envoyé une dépêche télégraphique ainsi conçue : « Je triomphe. Je vais jouer Faustine immédiatement. » Dans un billet laconique et fiévreux, Monseigneur me dit que Fournier veut le jouer en cinq semaines, ce qui me paraît raide ; je n’en sais pas plus. Notre ami est maintenant à Paris, rue Lafayette, 48, chez Duval pharmacien. Voilà. Je vais m’occuper, aussitôt arrivé, de faire recevoir quelque part la féerie pour qu’on la monte cet été et qu’on la joue à l’automne. Il y aura du tirage à la censure ! Mais je crois la chose amusante. J’ai expédié ces 175 pages en deux mois et demi, c’est assez joli pour moi ; et note que j’ai recommencé deux fois le dénouement qui est tout autre que dans le plan primitif.

Rien n’égale maintenant mon dédain pour « le dialogue vif et coupé ». Quelle division du style !

A-t-on demandé pour toi quelque chose de précis ? Attendre indéfiniment est pis que d’être refusé. Il me tarde bien d’embrasser ta bonne trombine.

À bientôt ; du courage.