Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0739

Louis Conard (Volume 5p. 45-46).

739. À EDMOND ET JULES DE GONCOURT.
Paris, samedi [13 septembre 1862]

Je suis ici depuis lundi au soir, mes chers bons ; votre lettre m’est arrivée mardi matin. Comment ! encore trois semaines sans vous voir ! Vous me manquez étrangement. Paris me semble vide sans mes deux bichons. Hâtez-vous donc de revenir.

J’ai signé avant-hier soir mon traité avec Lévy, à des conditions extrêmement avantageuses. Elles ne sont pas cependant aussi fantastiques que vous pouvez le croire.

Je m’occupe présentement à enlever les et trop fréquents et quelques fautes de français. Je couche avec la Grammaire des grammaires et le dictionnaire de l’Académie surcharge mon tapis vert. Tout cela sera fini dans huit jours ; le livre peut paraître à la fin d’octobre. J’ai obtenu une édition in-8o et vingt-cinq exemplaires sur papier de Hollande pour les têtes couronnées.

La pièce de Bouilhet (Dolorès) sera jouée du 25 au 28 courant.

Je n’ai encore vu personne de nos amis et n’ai point par conséquent contemplé l’étoile de l’honneur sur le paletot blanc de Claudin.

J’ai passé à Vichy quatre semaines stupides où je n’ai fait que dormir. J’en avais besoin probablement ; cela m’a rafraîchi, mais mon intellect en est demeuré atrophié. Je suis bête et vide comme un cruchon sans bière. Pas une idée, pas un plan. Je ne b… pour rien. Tel est mon état.

Mirecourt a fait une attaque terrible contre les Misérables. La réaction commence, le bourgeois s’apercevant qu’on l’a foutu dedans.

Serez-vous revenus pour la première de Bouilhet ? Il aura besoin d’amis.

Ne vous embêtez pas trop et répondez-moi.

Je vous embrasse sur les quatre joues et je serre vos quatre mains.