Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0718

Louis Conard (Volume 5p. 19-20).

718. À MADEMOISELLE AMÉLIE BOSQUET.
[Croisset, mai 1862].

Pauvre chère amie, j’ai longtemps hésité à vous écrire, car il m’est impossible de trouver des mots, des consolations[1], comme on dit. J’ai passé par là, et toutes les phrases banales que l’on débite en pareilles circonstances, loin de soulager, irritent. Mais si nous étions l’un près de l’autre, vous verriez bien que je ne suis pas insensible à votre douleur.

J’ai pensé longuement à vous, à votre solitude maintenant complète ; j’ai senti quelque chose de vos arrachements, et je vous ai vue dans la désolation et dans les larmes.

Êtes-vous plus tranquille maintenant ? Écrivez-moi un seul petit mot, pour répondre aux deux longues poignées de main que je vous envoie, en vous regardant jusqu’au fond du cœur, tendrement.

Jetez-vous tête baissée dans le travail. L’encre est un vin qui grise ; plongeons-nous dans les rêves, puisque la vie est si atroce.

Du courage ! pauvre chère amie, et soyez sûre que je vous aime bien. Mais à quoi cela vous sert-il ?


  1. Mort de Mme Goujon, qui adopta en 1844 Mlle Bosquet et sa sœur.