Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0705
Je finissais par te croire crevé. Mais puisque c’est la pioche qui a été cause de ton retard insigne, je te pardonne et te bénis.
Moi aussi je ne fainéantise pas. J’ai profondément remanié (coupé par-ci et allongé par-là) mon dernier chapitre. Je peux avoir tout fini au milieu de février.
Quant à la publication, tu me dis à propos du père Hugo une phrase où je ne comprends rien, en m’appelant à la fois trop et trop peu modeste. Je demande des commentaires. Il n’y a là dedans aucune modestie, mais 1o prudence, car le père Hugo prendra, pendant longtemps, toute la place pour lui seul, et 2o indifférence, dégoût, couardise, tout ce que tu voudras. La typographie me pue tellement au nez que je recule devant elle, toujours. J’ai laissé la Bovary dormir six mois après sa terminaison et, quand j’ai eu gagné mon procès, sans ma mère et Bouilhet je m’en serais tenu là et n’aurais pas publié en volume. Lorsqu’une œuvre est finie, il faut songer à en faire une autre. Quant à celle qui vient d’être faite, elle me devient absolument indifférente et, si je la fais voir au public, c’est par bêtise et en vertu d’une idée reçue qu’il faut publier, chose dont je ne sens pas pour moi le besoin. Je ne dis même pas là-dessus tout ce que je pense, dans la crainte d’avoir l’air d’un poseur.
Et toi ? ça marche-t-il ? Es-tu content ? Mais je croyais ton Alger complètement fini, et je m’attendais à le recevoir un de ces jours. Adieu, bon courage. Je te souhaite pour 1862 toutes les félicités possibles et je t’embrasse.