Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0704

Louis Conard (Volume 5p. 4-5).

704. À JULES DUPLAN.
[Croisset, 2 janvier 1862].
Mon vieux D’Holbourg,

Si je ne t’ai prié plus tôt de remercier M. le Président de Blamont[1] de sa consultation, c’est que… je voulais être sorti du Défilé de la Hache. C’est fait ! je viens d’en sortir. J’ai vingt mille hommes qui viennent de crever et de se manger réciproquement. J’ai là, je crois, des détails coquets et j’espère soulever de dégoût le cœur des honnêtes gens. Monseigneur m’a fait faire pas mal de changements et de corrections à mon siège et à ma brûlade (j’ai r’ajouté des supplices) ; bref, ça marche, maintenant, plus lestement.

Monseigneur n’a pas été indulgent. Monseigneur est sévère, mais juste. Depuis son départ (le 11 décembre), j’ai écrit 14 pages ; tu vois si j’ai le bourrichon monté. Je peux (si je continue de ce train-là) avoir fini dans six semaines et être à Paris du 12 au 20 février. Mais je compte encore six belles semaines pour revoir l’ensemble, ce qui me remet, pour avoir complètement terminé, aux premiers jours d’avril. Peu importe, du reste, car je suis presque résolu à attendre que la première flambée des Misérables se soit éteinte, c’est-à-dire à publier au mois d’octobre prochain.

Voilà, vieux. Je ne sors pas, je ne vois personne, je brûle un bois considérable et je trouble les échos de ma solitude par mes gueulades frénétiques et continues.

Donne-moi des nouvelles de ce pauvre bougre de Gleyre. J’ai été bien content d’apprendre qu’il va mieux.

Et toi ? ça marche-t-il un peu mieux ?

Je te souhaite, pour 1862, trois millions de bénéfices, et je t’embrasse comme je t’aime : tendrement.

Dépose-moi aux pieds de Mme Cornu.


  1. Surnom de Ernest Duplan, notaire.