Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 4/0691

Louis Conard (Volume 4p. 447-448).

691. À ERNEST FEYDEAU.
[Vers le 15 septembre 1861].

Si je ne t’écris pas, mon vieux bon, n’en accuse que mon extrême lassitude. Il y a des jours où je n’ai plus la force physique de remuer une plume. Je dors dix heures la nuit et deux heures le jour. Carthage aura ma fin si cela se prolonge, et je n’en suis pas encore à la fin ! J’aurai cependant, au commencement du mois prochain, terminé mon siège ; mais j’en aurai encore pour tout le mois d’octobre avant d’arriver au chapitre xiv, qui sera suivi d’un petit autre. C’est long, et l’écriture y devient de plus en plus impossible. Bref, je suis comme un crapaud écrasé par un pavé ; comme un chien étripé par une voiture de m…, comme un morviau sous la botte d’un gendarme, etc. L’art militaire des anciens m’étourdit, m’emplit ; je vomis des catapultes, j’ai des tollénons dans le cul et je pisse des scorpions.

Quant à tout ce qu’on en dira, veux-tu savoir le fond de ma pensée ? Pourvu qu’on ne m’en parle pas en face, c’est tout ce que je demande.

Tu n’imagines pas quel fardeau c’est à porter que toute cette masse de charogneries et d’horreurs ; j’en ai des fatigues réelles dans les muscles.

Tu me parais toujours jeune, toi, et furieux, puisque tu t’indignes contre la bêtise des hommes. Empêche la pluie de tomber et éclaire tes semblables ! Va ! marche, essaie !

La seule chose qui me divertisse un peu, ce sont les lubricités de messieurs les ecclésiastiques. As-tu vu l’histoire du frère Catulle, qui épuisait des enfants de 6 à 7 ans ?… C’est beau ! Et le langage des feuilles ? « L’école chrétienne était devenue une véritable école de débauche ! »

Caroline a écrit à Mme Feydeau une lettre pour la remercier de son portrait. Elle était adressée à Baden.

Tu ne me dis pas où tu es de ton Alger, ni de ta nouvelle pièce.

Adieu, vieux, je t’embrasse tendrement.