Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 4/0690

Louis Conard (Volume 4p. 446-447).

690. À MADAME JULES SANDEAU.
Croisset, 1er septembre [1861].

Comme voilà longtemps que je n’ai entendu parler de vous ! — et qu’il est doux de vivre ainsi sans savoir si les gens qu’on aime sont morts ou vivants ! Où êtes-vous ? Que devenez-vous ? Que lisez-vous ? etc… Allez-vous en vacances quelque part ? à des eaux, à des bains quelconques ? — Ou bien restez-vous tout bonnement dans votre jardin ? — Et cette fameuse promesse de venir me faire une petite visite ?…

Quant à votre esclave indigne, il continue à mener la même existence que par le passé, une vie de curé, ma parole d’honneur ! Il me manque seulement la soutane. Quant à la tonsure et au reste, c’est complet !

Puisque vous êtes une personne littéraire, et que vous vous intéressez à mes longues turpitudes, je vous dirai que le mois prochain j’espère commencer mon dernier chapitre. Le tout sera, probablement, fini au jour de l’an. Mais plus j’avance dans ce travail, plus j’en vois les défectuosités et plus j’en suis inquiet.

Je donnerai, je crois, aux gens d’imagination, l’idée de quelque chose de beau. Mais ce sera tout, probablement ? Bien que vous m’accusiez de manquer absolument de bon sens, je crois en avoir dans cette circonstance. Or, vous verrez que ma prédiction se réalisera : mon bouquin ne fera pas grand effet.

Eh bien, vos amis sont décorés : Nadaud et Énault, Énault et Nadaud ! Quel duo ! quel attelage ! En voilà qui trouvent l’art de plaire ! — et aux dames surtout.

Je ne sais pas d’autre nouvelle, car je ne vois personne et je ne lis rien — de moderne du moins — et avec tout cela je ne m’amuse guère.

Écrivez-moi un peu, afin que j’aie une petite illusion et que je me croie à vos côtés, quand nous sommes seuls.

Adieu. Ne vous ennuyez pas trop.

Songez à moi, dans vos moments perdus. Et laissez-moi vous baiser les mains bien longuement.

À vous.