Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 4/0604

Louis Conard (Volume 4p. 310-312).

604. À ERNEST FEYDEAU.
[Croisset, début de février 1859].

Ça va bien ! très bien ! jeune homme ! La deuxième partie marche comme sur des roulettes. Je ne suis plus inquiet du reste ; c’est celle-là que je redoutais.

Quant aux taches, ce n’est pas grand’chose. Note tout de suite la page 252, où le mot et revient sans cesse au commencement des phrases ; c’est un vieux chic biblique qui est agaçant.

Il y a peut-être un peu de lenteur dans les deux ou trois premières pages.

Ce qu’il y a évidemment de moins amusant, ce sont les pages 291, 2, 3 ; quant au reste, le papier vous brûle les mains, pour moi du moins. J’ai poussé, tout seul, des bravo ! Très bien ! plusieurs fois.

Je te prédis que la plage de Trouville et le portrait de Cabâss seront remarqués, tu verras.

Il y a des choses charmantes, exquises, pages 281, 285 ; ça donne envie d’archif… l’héroïne.

Ne pleure pas sur tes suppressions, elles étaient indispensables. Je m’y connais, n’aie pas peur. Si je voyais aussi bien dans mes œuvres que dans celles des autres, je serais un bien grand homme ; mais hélas !

Oh ! Que Carthage, par moments, me scie le trou du c… !

Tu es beau, et héroïque, quant aux retranchements ; mais j’ai la conviction qu’une ligne oiseuse d’ôtée vous donne dix lecteurs de plus.

Tu me dis que tu as besoin d’argent, misérable ! Et moi !… n’importe ! Périssent les États-Unis plutôt qu’un principe ! On me verra cocher de fiacre avant de me voir écrire pour de l’argent. Quant à cela, je le jure solennellement et sans le moindre effort.

Fais-moi le plaisir de prendre des informations sur le gars A. Claveau, qui, dans ce même numéro de la Revue Contemporaine, a fait le compte rendu de Richard Darlington. Ce drôle a, l’autre été, écrit sur ton oncle une diatribe dans un journal nommé, je crois, le Courrier franco-italien ; il m’engueulait comme disciple de Champfleury, etc. Bref, une ordure méchante, et c’est un des premiers articles qui aient paru. — N. B. Se rappeler Claveau.

C’est à la fin du mois, dans trois semaines, que je te serrerai dans mes bras. J’aurai fait, dans mon hiver, à peu près deux chapitres !!! Si j’en fais un et demi d’ici à la fin de mai, ce sera bien beau. Total : cinq, et il m’en restera encore dix !

Adieu, vieux. Soigne-moi la sixième partie, n… de D… ! Il faut que ce soit écrit transcendantalement, lisse comme un marbre et furieux comme un tigre.

Mais prends garde d’abîmer ton intelligence dans le commerce des dames. Tu perdras ton génie au fond d’une matrice. Tâche de nous montrer un peu

L’accord d’un beau talent et d’un beau caractère.

Réserve ton priapisme pour le style, f… ton encrier, calme-toi sur la viande, et sois bien convaincu, comme dit Tissot (de Genève), (Traité de l’onanisme, page 72, voir la gravure), que : une once de sperme perdu fatigue plus que trois litres de sang.

Je t’embrasse, vieux dromadaire.