Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 4/0567

Louis Conard (Volume 4p. 244-245).

567. À ERNEST FEYDEAU.
[Croisset] Samedi [12 ou 19 décembre 1857].

Toi aussi ! cher neveu, embêté par la littérature ! Je te plains, si tu es dans les mêmes états que ton oncle. Je ne fais plus rien, ce qui vaut mieux que de faire mal. Je me suis arrêté parce que je sentais que j’étais dans le faux. La psychologie de mes bonshommes me manque, j’attends, et je soupire.

Je serai à Paris mardi ou mercredi de l’autre semaine, la veille de Noël au plus tard. Va te délasser dans ton château préalablement, ou après. Dès que je serai à Paris, je serai complètement à ta disposition, tu me liras ton histoire, en plusieurs fois ou tout d’un coup, ça m’est égal, dussions-nous faire une séance de xv heures, ce qui serait plus solennel.

J’attends Bouilhet demain. Nous allons, je crois, passablement gueuler pendant huit jours, ça me remontera peut-être, j’en ai besoin.

Quelle sacrée idée j’ai eue de vouloir écrire un livre sur Carthage ! les descriptions passent encore ; mais le dialogue, quelle foirade !

Pour me remonter le moral, je vais me livrer, dans le sein de la capitale, à des débauches monstrueuses, ma parole d’honneur ! j’en ai envie. Peut-être qu’en me fourrant quelque chose dans le c…, ça me ferait b… le cerveau. J’hésite entre la colonne Vendôme et l’obélisque. Je ris, mais je ne suis pas gai. J’ai déjà, il est vrai, passé par des époques pareilles, et je ne m’en trouvais que plus vert ensuite. Mais ça dure trop ! ça dure trop !

Adieu, vieux, bon courage !