Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 4/0543

Louis Conard (Volume 4p. 201-203).

543. À JULES DUPLAN.
[Fin juin-début juillet 1857.]

Je viens d’écrire à Edmond About et à Feydeau pour votre ami Maisiat. À Feydeau, qu’il se charge de la commission, c’est-à-dire qu’il surveille Théo. Je lui ai recommandé de repasser la note à Saint-Victor, ce qui ne peut pas nuire. Si j’avais écrit à Gautier, je n’aurais pas eu de réponse, parce qu’il est fort peu épistolaire. Mais de cette façon, je saurai ce qui en adviendra. J’ai écrit il y a quelques jours à Théo pour lui recommander Foulongne[1]. Si vous voyez ce dernier chez Gleyre, vous pourrez le lui dire. Je souhaite que tout cela serve à quelque chose.

J’ai reçu le Figaro et l’Univers. Est-ce beau ? Je suis en exécration dans le parti-prêtre, cela doit attendrir Gleyre à l’endroit de la Bovary.

Vous me faites l’effet, mon cher ami, vous qui m’engueulez sur mes couillonnades, d’un fier caleur ! Et Siraudin ? s… n… de D… ! Il ne s’agit pas de rester assis sur votre derrière, comme ung veau pleurard ! Allons à l’ouvrage ! nom d’un petit bonhomme ! Le meilleur de la vie se passe à dire : « Il est trop tôt », puis : « Il est trop tard ». — Moi, dès le commencement d’août, je me mets à Carthage ; j’ai bientôt tout lu. On ne pourra, je crois, me prouver que j’ai dit, en fait d’archéologie, des sottises. C’est déjà beaucoup.

Je n’ai pas reçu le livre de Crépet ; qu’il l’adresse chez mon frère, à l’Hôtel-Dieu, à Rouen. Si Crépet était un brave, il passerait à l’institut ou rue de Seine, 2, et ferait de ma part une révérence et mille remerciements à M. Alfred Maury, bibliothécaire de l’Institut, lequel tient à ma disposition un « Mémoire sur l’Orichalque, de Rossignol ». Il ne sait comment me faire parvenir la chose. Crépet mettrait cette brochure dans le paquet du susdit livre.

Lisez l’anecdote suivante. Vous m’avez entendu parler d’un certain Anthime, ancien domestique de ma mère et mari de la cuisinière que nous avons. Ce respectable serviteur, haut de cinq pieds huit pouces, porteur de boucles d’oreilles, de bagues et de chaînes d’or, tournure de chantre, air idiot, ami des prêtres et coopérant, l’été, à l’édification des reposoirs, renvoyé pour ses mauvaises mœurs, avait trouvé, en sortant de notre service, un ancien distillateur enrichi que l’on appelle familièrement le père Poussin. Ledit père Poussin était plutôt l’ami que le maître d’Anthime. Ils sortaient bras dessus, bras dessous et faisaient, le soir, la petite partie de cartes. Et bien ! tout à coup, le père Poussin s’est fâché et a mis Anthime à la porte. Il a dit à la femme de ce misérable un bien beau mot : « C’est un homme, Madame, qui aime son semblable ».

N-B. — Le père Poussin est âgé de 72 ans ! et hideux ! Il a un tremblement continuel et bavachotte agréablement.

Voilà, Monsieur, où nous ont conduits les révolutions. Les couches inférieures n’ont plus aucune considération pour les supérieures. Les domestiques, à présent, ne respectent plus leurs maîtres ; cependant on ne peut nier qu’ils les aiment.

Est-ce joli ? Je termine comme Lucrèce Borgia :

« Hein ? qu’en pensez-vous ?… pour la campagne ! »


  1. Alfred Foulongne, ami de Flaubert et de Bouilhet, avait exposé au Salon de 1857 : Melænis chez la sorcière Staphyla.