Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 4/0477

Louis Conard (Volume 4p. 82-83).

477. À LOUIS BOUILHET.
Croisset, 2 août [1855.]

Me revoilà dans la sempiternelle Bovary !   « Encore une fois sur les mers », disait Byron. « Encore une fois dans l’encre », puis-je dire.

Je suis en train de faire exposer à Homais des théories gaillardes sur les femmes[1]. J’ai peur que ça ne paraisse un peu trop « voulu ». Au reste, c’est aujourd’hui seulement que j’ai travaillé avec un peu de suite.

Je viens de lire la Grèce contemporaine du sieur About. C’est un gentil petit livre, très exact, plein de vérités et fort spirituel. Quant aux calomnies et aux canailleries dont on m’avait parlé, je n’en discerne aucune. Son talent n’est pas assez grand pour expliquer l’acharnement dont on le poursuit. Il y a quelque chose là-dessous qui nous échappe.

J’ai eu à dîner avant-hier ton ancien professeur Bourlet. Quelle grosseur ! quelles sueurs ! quelle rougeur ! C’est un hippopotame habillé en bourgeois. Il n’a pas faibli du reste, car il est toujours de l’opposition quand même, furieux contre le gouvernement, ennemi des prêtres et extra-grotesque.

Sais-tu que mon cher frère lit avec rage Régnier, qu’il en a trois éditions, qu’il m’en a récité des tartines par cœur ? il a dit devant moi à Bourlet à propos de Melaenis : « Si tu n’as pas lu ça, tu n’as rien lu. »

Que je sois pendu si je porte jamais un jugement sur qui que ce soit !

La bêtise n’est pas d’un côté et l’esprit de l’autre. C’est comme le vice et la vertu ; malin qui les distingue.

Axiome : Le synthétisme est la grande loi de l’ontologie.

Nouvelle : M. L… est conseiller municipal de Darnétal. « Ici, nous renonçons à peindre. » Ses parents sont dans le ravissement. Je t’assure que quand je pense à cela je me sens emporté dans un océan de rêveries.

Quand viens-tu, pauvre vieux ? Tu dois avoir fixé à peu près l’époque de tes vacances. As-tu vu Rouvière ? Laffitte ? Judith ? Tâche de te remuer un peu.

Adieu, je n’ai absolument rien à te dire, si ce n’est que je t’aime.

Je te réserve un discours du président Tougard[2] qui est « chouette », comme dirait Homais.


  1. Voir Madame Bovay, p. 387.
  2. Président de la Société centrale d’horticulture de Rouen.