Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 3/0416

Louis Conard (Volume 3p. 300-302).

416. À LOUISE COLET.
Mercredi matin, 10 heures [17 août 1853].

On vient de me remettre : 1o  ton paquet ; 2o  ta lettre de lundi soir, et mardi, mon lit était jonché de toi (ç’a été un bon réveil) et je me lève pour t’envoyer ce petit mot.

Merci du portrait. Je ne sais ce que j’en ferai à Croisset ; mais, ici, il m’a fait plaisir. N’importe, la photographie est une vilaine chose !

Je vais corriger tes contes. Tu auras tout cela avant le 25. Comptes-y. J’ai lu celui d’Imprudence, dans lequel il y a de bien bons vers ! Que de talent perdu ! Quel dommage que de pareils vers soient là ! Celui de Cécile me semble impossible à retoucher tant il y a d’anges, de chérubins. L’idée des écheveaux d’or est bien jolie ; c’est cela surtout qu’il faut mettre en relief. M’autorises-tu à faire beaucoup de coupures si je le juge nécessaire ?

Je lisais les Souvenirs de Jeunesse quand on m’a apporté ta lettre. Elle me fut remise par les mains du pharmacien lui-même.

J’attends avec anxiété la suite de l’histoire Girardin-Concours. De n’importe quelle façon qu’elle tourne, c’est bon et il faudra faire savoir à Limayrac[1] que tu es l’auteur. Courage ! Courage ! Sacré nom de Dieu ! l’avenir est aux forts, aux patients, aux purs. Dans quelque temps d’ici nous serons des géants, notre taille se rehaussera de tout l’abaissement des autres. Nous serons les seuls. Tout cède à la ligne droite, sois-en sûre, et nous la suivons. Mais il ne faut regarder ni en avant, ni en arrière. Restons le nez collé sur notre ouvrage. Si l’Acropole paraît dans la Presse, je crois que tu te dois, à toi-même, pour achever l’œuvre, de refaire une Acropole, et qui ait le prix. Ce serait éclatant. Tu ferais suivre la publication de cette seconde Acropole d’un petit morceau de remerciement à l’Académie, dont je me charge, et qui enterrerait les concours de poésie définitivement. Je te reparlerai de cela plus longuement.

Renvoie de suite à Villemain le manuscrit, coûte que coûte. À côté d’une grande leçon virile, il ne faut pas de petite taquinerie féminine. Mais si Girardin publie, tu pourras recevoir le bossu convenablement, et te mettre à ton rang.

Pas de lettre de Bouilhet. Je le suppose à Dieppe ou à Fécamp.

Le temps est affreux ; il pleut à verse. Je vais rester toute la journée avec tes Contes ; ce sera m’occuper de toi, penser à toi.

Mille tendresses. Ton G. qui t’embrasse.


  1. Rédacteur en chef du Constitutionnel, puis rédacteur à la Presse ; publia, en 1853, Coups de plumes sincères (littérature et politique).