Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 3/0411

Louis Conard (Volume 3p. 285-286).

411. À LOUISE COLET.
22 juillet 1853, nuit de vendredi, 1 heure.

Oui, j’arriverai lundi prochain chez toi, vers 6 heures. Comme il faut que j’aille deux jours à Nogent, je préfère partir dès le lendemain mardi et revenir le mercredi soir. Je resterai avec toi jusqu’au mardi de l’autre semaine. Ma mère sera partie seule à Trouville ; je l’irai rejoindre. Bouilhet ne viendra pas. Je l’ai vu hier ; il était un peu malade. Ses bacheliers à la fin de l’année l’occupent plus que jamais. Comme il a voulu se supprimer le tabac, il est dans une grande démoralisation et agacé nerveusement au suprême degré. Hier, il se purgeait et avait un œil tout enflé. Toutes les fois qu’il lui a fallu se mettre en train à un fossile, il a été indisposé.

J’ai eu, aujourd’hui, un grand succès. Tu sais que nous avons eu hier le bonheur d’avoir Monsieur Saint-Arnaud[1]. Eh bien j’ai trouvé ce matin, dans le Journal de Rouen, une phrase du maire lui faisant un discours, laquelle phrase j’avais, la veille, écrite textuellement dans la Bovary (dans un discours de préfet, à des Comices agricoles). Non seulement c’était la même idée, les mêmes mots, mais les mêmes assonnances de style. Je ne cache pas que ce sont de ces choses qui me font plaisir. Quand la littérature arrive à la précision de résultat d’une science exacte, c’est roide. Je t’apporterai, du reste, ce discours gouvernemental et tu verras si je m’entends à faire de l’administratif et du Crocodile.

J’ai mis de côté Delisle, les Fantômes, la pièce sur Vétheuil, etc. Ne compte pas sur les photographies. La collection n’est pas complète. Il me manque encore sept ou huit livraisons qui ne sont pas parues (je m’étais trompé parce qu’ils publient sans suivre l’ordre des numéros). Lorsque j’aurai tout, je t’apporterai tout ; ça vaudra mieux.

Adieu donc, pauvre tendrement chérie. À bientôt, dans quelques heures ton t’embrassera.


  1. Maréchal de Saint-Arnaud, ministre de la Guerre. Répondant au discours du préfet, il assura les Rouennais que l’Empereur se faisait un devoir de restaurer l’agriculture de ses désastres.