Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 3/0376

Louis Conard (Volume 3p. 126-128).

376. À LOUISE COLET.
Jeudi matin, midi [24 mars 1853].

Je vais aller à Rouen pour avoir la réponse de ton Acropole. Je t’écrirai dimanche une longue lettre. Ce sera le jour de Pâques. Je passerai à cela l’après-midi ; ce sera ma fête.

Ce n’était pas par délicatesse que je t’ai envoyé cachetée la lettre[1] mais il me semble qu’elle a dû te faire plus de plaisir ainsi. Il y a dans l’action matérielle de décacheter une lettre un certain charme, un plaisir des nerfs que je n’ai pas voulu t’enlever. Si j’avais à te transmettre un fruit, ce ne serait pas par délicatesse que je tâcherais de n’en pas enlever la fleur, mais pour qu’il restât plus propre. Comprends-tu ? Quelle drôle de chose que les femmes ! Toujours l’esprit tendu vers l’article ! « Puisque tu savais bien, me dis-tu, qu’il ne m’a jamais fait la cour. » Je t’assure que je n’avais nullement pensé à cette question. Quelles sont donc ces deux ou trois choses du genre de celles-là et que tu veux me dire en riant et en m’embrassant ? Je me perds en conjectures et rêve dans le vide.

J’ai bien compris ton sentiment relativement à mes notes de voyage. Je te répondrai sur tout cela, mais c’est toi qui as voulu cette lecture. Je m’y étais longtemps refusé, souviens-t’en ; mais tu es bien enfant.

Je ne te renverrai pas la lettre. Je crois plus sage de la garder. Elle était accompagnée d’un petit mot à ton adresse, fort poli. Tu peux, en lui répondant, lui exprimer que je suis tout à son service et trop heureux de lui être agréable. Il a vraiment une belle figure là-bas, dans son île. Si je le pouvais, j’irais le voir. J’en éprouve le besoin ; mais la Bovary qui me tient et l’argent que je ne tiens pas m’en empêchent.

Quand tu feras le plan de ton drame, détaille le plus possible et scène par scène, avec tous les mouvements ; c’est le seul moyen d’y voir clair.

Voilà quatre jours que je suis à une page ! Et peut-être faudra-t-il la déchirer. Quelle scie !

Adieu, tout à toi, à dimanche, je t’embrasse.

Ton G.

Ne lui écris pas pour Villemain, tu as raison.


  1. Lettre de Victor Hugo.