Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 3/0349

Louis Conard (Volume 3p. 46-47).

349. À LA MÊME.
Mardi, minuit, 2 novembre 1852.

Chère bien-aimée. J’espère que dans huit jours à cette heure-ci, je toucherai à la Reine[1] malgré les vers de l’ami qui sont, d’hier, dans la Revue de Paris. Comment ça se fait-il ? Est-ce une galanterie indirecte du sieur Houssaye à ton endroit, ou tout bonnement pour emplir quelques lignes et ne sachant que dire ?

Je partirai mardi prochain à 1 h 30 et j’arriverai à Mantes à 3 h 43. Quant aux convois qui partent de Paris, il y en a un à midi et un autre à 4 h 25 (par celui-là tu n’arriverais qu’à 6 heures). Prends donc le premier, qui arrive à 1 h 50. Tu feras tout préparer, commanderas le dîner, etc.

Ce n’est point pour te contrarier que je ne viens que mardi au lieu de lundi, mais je vais finir ma semaine et j’emploierai lundi à te chercher quelques notes, bouquins et gravures pour ton Acropole. Cela me tourmente beaucoup. Je me suis mis dans la tête qu’il faut que tu aies le prix et il me semble que ce te sera aisé. Enfin nous en causerons à loisir d’ici à peu.

Quel bête de numéro que celui de la Revue ! pauvre ! pauvre ! et canaille par-dessus le marché.

Je relis maintenant, le soir en mon lit (j’ai un peu quitté Plutarque), tout Molière. Quel style ! mais quel autre homme c’était que Shakespeare ! On a beau dire, il y a dans Molière du bourgeois. Il est toujours pour les majorités, tandis que le grand William n’est pour personne.

Mon travail va bien lentement ; j’éprouve quelquefois des tortures véritables pour écrire la phrase la plus simple.

Adieu, bonne Louise bien chérie, à bientôt. Réponds-moi si mes petits arrangements te vont. Mille baisers sur tes yeux.

À toi.


  1. Voir lettre no 340.