Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 2/0333

Louis Conard (Volume 2p. 464-466).

333. À LOUISE COLET.
Nuit de mercredi. [7-8 juillet.]

Non, je ne te ferai pas de reproches, quoique tu m’as fait bien souffrir ce matin, étrangement et d’une manière nouvelle. Quand j’en suis arrivé, dans ta lettre, au tutoiement, c’est comme si j’eusse reçu un soufflet sur la joue ; j’ai bondi. Oui j’ai eu cette faiblesse et ne pas l’avouer serait poser. Cet homme me paiera cette rougeur un jour ou l’autre, d’une façon telle quelle. Si je faisais des phrases dans son genre, je te dirais que j’éprouve le besoin de l’assommer. Mais il est certain que je le bâtonnerais avec délices, et qu’il me reste de tout cela un cor fort sensible. S’il me marche jamais sur le pied, je lui fourrerai ce pied dans le ventre, et quelque chose avec. Ah ! ma pauvre Louise, toi, toi, avoir été là ! Je t’ai vue un moment tuée sur le pavé, avec la roue te passant sur le ventre, un pied de cheval sur ta figure, dans le ruisseau, toi, toi, et par lui ! Oh comme je voudrais qu’il revienne et que tu me [le] foutes à la porte crânement devant trente personnes !

S’il te récrit, réponds-lui une lettre monumentale de cinq lignes. « Pourquoi je ne veux pas de vous ? Parce que vous me dégoûtez et que vous êtes un lâche. » Il avait peut-être peur de se compromettre en venant voir si tu n’étais pas écrasée sous la roue.

Noble poète qui pense à amuser le prince-président en lui envoyant des facéties sur l’Académie (dont il est très fier d’être membre), et qui tremble encore, à l’heure qu’il est, que l’Académie n’en sache quelque chose ! Tu as manqué de tact dans toute cette affaire. Il y a du vent dans la tête des femmes comme dans le ventre d’une contrebasse ! Au lieu de t’élancer de la voiture, tu n’avais qu’à faire arrêter le cocher et de (sic) lui dire : « Faites-moi le plaisir de jeter dehors M. A. de Musset qui m’insulte. »

Je m’arrête, je ne veux pas t’en écrire plus long. Il est très tard ; je n’ai rien fait aujourd’hui, sauf ce soir depuis 2 heures.

La pièce sur M. Waldor est fort belle, fort belle. Quant au reste, assez médiocre.

Merci pour l’article, et qu’on le signe surtout ! J’attends les vers avec impatience.

Adieu, je t’embrasse, je te serre, je te baise partout ; à toi, à toi, mon pauvre amour outragé.

Encore un long baiser.

Ton G.