Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 2/0301

Louis Conard (Volume 2p. 337-339).

301. À PARAIN.
[Croisset, janvier 1852.]

Eh bien ! vieux père Parain, vous ne venez donc pas ? Savez-vous que ma cheminée s’embête de ne plus vous avoir à cracher dans ses cendres ? N’est-ce pas avant un mois que nous vous reverrons ? Dépêchez-vous, mon vieux compagnon ; maman s’ennuie beaucoup de ne pas vous avoir. La société de miss Isabelle n’a pas pour elle remplacé la vôtre, et voilà aussi le moment venu de faire un tas de rangements pour lesquels vous lui serez fort utile. Quant à moi, vous savez si votre présence m’est agréable ; elle fait presque partie de mon existence. Depuis que nous sommes revenus de Paris, il fait ici un temps affreux. La maison est pleine d’humidité au rez-de-chaussée. Les murs suent comme un homme qui a trop chaud. On a été obligé de faire du feu partout. Maman s’est décidée à démeubler la maison de Rouen. Ce ne va pas être une petite affaire quand vous serez revenu.

Tout le temps que nous avons été à Paris, Liline a été mauvaise comme le diable, J’avais conseillé de la renvoyer à Olympe pour la duire un peu ; mais depuis que nous sommes ici, son humeur est redevenue plus sociable.

Vous trouverez chez Achille une nouvelle figure anglaise ; je ne la connais pas encore.

Je me suis trouvé, comme vous savez, à Paris, lors du coup d’État. J’ai manqué d’être assommé plusieurs fois, sans préjudice des autres où j’ai manqué d’être sabré, fusillé ou canonné, car il y en avait pour tous les goûts et de toutes les manières. Mais aussi j’ai parfaitement vu : c’était le prix de la contre-marque. La Providence, qui me sait amateur de pittoresque, a toujours soin de m’envoyer aux premières représentations quand elles en valent la peine. Cette fois-ci je n’ai pas été volé ; c’était coquet.

Le poème du sieur Bouilhet a bien mordu. Le voilà maintenant posé d’aplomb dans la gent de lettres. L’année prochaine il s’en ira à Paris et me plantera là, ce dont je l’approuve, mais ce qui ne m’égaye pas quand j’y pense.

Je me suis remis à travailler comme un rhinocéros. Les beaux temps de Saint Antoine sont revenus. Fasse le ciel que le résultat me satisfasse davantage !