Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 2/0239
Bonne journée aujourd’hui, chère mère ; j’ai reçu quatre lettres de toi. Tout ce bon bagage à la fois m’a rempli de joie. Nous avons fait cet après-midi une délicieuse course aux tombeaux des Califes. C’est une grande plaine aux environs du Caire, toute chargée de mosquées du temps des croisades. On a le désert d’un côté, le Caire et tous ses monuments à vos pieds, et plus loin les prairies du Nil, avec le fleuve tacheté de voiles blanches. Les canges ont toutes deux grandes voiles croisées qui font ressembler le bateau à une hirondelle volant avec deux immenses ailes. Le ciel était tout bleu, les éperviers tournoyaient, les chameaux passaient, et du haut des minarets en ruines, dont les pierres sont rongées de vieillesse comme des pans de guenilles déchiquetées par les rats, on voyait les hommes et les bêtes ramper comme des mouches, le tout inondé d’une lumière liquide qui paraît pénétrer la surface de chaque chose et la transparence de l’atmosphère.
Maintenant que j’ai de tes nouvelles, je ferme ma lettre. Nous partons après-demain pour notre petite excursion autour du Caire.
Adieu, je t’embrasse un million de fois.