Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 2/0229
Tu me parles de la bêtise que tu as eue de croire à la prédiction du petit morceau de papier. Je la comprends, car je la partage, quoiqu’en général, en fait de présages, l’esprit est ainsi fait que l’on croit surtout aux mauvais. (Quand on en a de bons on en doute, quand il vous en arrive de mauvais, cela vous fait peur…) Bouilhet est arrivé ce matin à 11 h. Nous dînons ce soir tous les trois ensemble avec Théophile Gautier, qui a remis une invitation pour venir avec nous. Pradier viendra demain nous embrasser à l’heure du départ, dans la cour des diligences.
J’ai été dire adieu à M. Cloquet. Il m’a promis, quand tu viendras à Paris, de te faire faire la connaissance de gens qui ont voyagé, pour en causer le plus possible.
Comme je crois que mon manuscrit de la Bretagne te ferait plaisir à avoir près de toi, il sera à la disposition de H[amard]. Tu t’adresseras à lui pour qu’il te l’envoie par un moyen sûr… Nous avons été tout à l’heure, Bouilhet et moi, voir au Louvre les bas-reliefs assyriens que Botta a rapportés de Ninive. Vas-y quand tu viendras ici ; cela te fera plaisir en songeant que j’en verrai de pareils. Tâche, pauvre vieille, de te mettre à ma place quand je serai en route ; songe aux belles choses que je vais voir, à toutes les gueulades que je pousserai. Il y a un danger que nous n’avons pas prévu, c’est que j’en revienne fou ; ce serait une bonne charge.
Adieu, pauvre vieille adorée. C’est demain que je pars. Dans 24 heures je roulerai ; tu n’auras donc pas de lettre avant la fin de la semaine (probablement), puis deux ou trois, puis de Malte, puis d’Égypte. Une fois en Égypte tu t’y feras ; elles arriveront régulièrement, sois-en sûre.
Quant à la Perse, ne t’en inquiète pas d’avance ; il sera temps d’y penser plus tard.
Adieu, mille baisers, pauvre mère, je t’embrasse de tout mon cœur. Ton fils qui t’aime.