Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 2/0228

Louis Conard (Volume 2p. 95-96).

228. À SA MÈRE.
Paris, samedi, 27 octobre [1849].

La journée d’aujourd’hui m’a semblé moins longue que celle d’hier, pauvre chère vieille, quoique j’aie été moins occupé. Ainsi j’espère peu à peu me faire à notre absence ; mais toi ? J’attendais avec impatience ta bonne lettre. Quoique par métier je fasse du style, je ne sais que te dire, car j’aurais tant de choses à te dire !

Hier au soir, après t’avoir écrit, j’ai été à l’Opéra voir le Prophète. C’est magnifique ; ça m’a fait du bien, j’en suis sorti rafraîchi, émerveillé, et plein de vie. Devine qui est-ce qui est venu s’asseoir à côté de moi ? Un Persan en costume !… Je viens de passer une partie de mon après-midi chez ce brave Pradier qui m’a fait de belles théories sur les voyages… Quand cette lettre t’arrivera, tu auras déjà dû recevoir une carte d’Égypte que j’ai recommandée au père Molard… Je pense à toi sans cesse, ton idée m’accompagne partout. Oui, pauvre chérie, va, aie bon espoir ; je te ferai de beaux récits de voyage, nous causerons du désert au coin du feu ; je te raconterai mes nuits sous la tente, mes courses au grand soleil… Nous nous dirons : oh ! te rappelles-tu comme nous étions tristes, et nous nous embrasserons, nous rappelant nos angoisses du départ.

Allons, à demain. Tu voulais prendre le chemin de fer pour venir ici, et moi donc, quelles tentations j’avais de descendre aux stations !

Adieu, pauvre chérie, encore un bon baiser ; bonne nuit.