Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 1/0165

Louis Conard (Volume 1p. 394-395).

165. À LOUISE COLET.
Vendredi 13 novembre 1846.

Que te dire, que te faire ? Ah ! tu as refusé mon baiser d’adieu ; prendras-tu mon baiser de retour ? Bientôt m’appelleras-tu encore « vous » ?

Sais-tu qu’il n’y a pas de reproche qui vaille tes larmes, pas d’outrages ni d’injures qui m’aient été plus sanglants ni plus amers que ce désespoir navrant avec lequel tu m’as flagellé ? Mon cœur en porte la marque.

Crois-tu que je n’en ai pas souffert ? Mais non : parce que je ne pleure pas, tu m’appelles égoïste ; parce que j’ai manqué à ton rendez-vous, tu m’appelles traître, tu me méprises. Et ce rendez-vous, je l’ai manqué par pudeur. Cela t’étonne de moi, n’est-ce pas, qui en ai si peu. Eh oui ! Avec Phidias, à quatre, ç’eût été du monde ; avec Maxime seul, une demi-intimité. Quand quelque chose cloche à moitié, j’aime mieux que tout cloche entièrement.

Je te voulais, je te voulais encore, j’avais mille choses à te dire. Jamais tu ne m’avais parue plus belle que ce jour-là, plus enviable, plus charmante. Tu crois que je ne veux de toi que le plaisir. Est-ce que j’aime le plaisir ? Est-ce que j’ai des sens ? Et tu m’accuses de manquer de cœur. Il ne me reste donc rien. C’est possible ; que sais-je ?

Tiens, je voulais t’écrire longuement, mais je ne trouve rien à te dire. Je suis troublé, agité, le souvenir de ton chagrin et du chagrin que je t’ai causé est là, comme un spectre qui m’’attire et qui me fait peur. Mais est-ce ma faute ?

J’attends une lettre de toi, mais tu ne m’écriras pas. Tu es fière, tu t’es trouvée blessée, sans supposer que je pouvais l’être ! l’être, même un peu !…

Je reviens dans peu de jours, quand même la commission ne se rassemblerait pas. Ne fût-ce qu’un jour, qu’une heure, je veux te revoir, te revoir encore une fois, si tu ne veux plus de moi, si tu me chasses.

Plus de tout cela ! de grâce ! C’est moi qui te prie ! Tu ne sais pas le mal que tu causes.

Si tu ne veux plus que ma bouche touche la tienne, eh bien sur ta main, Louise, sur ta main ! Il y a quarante-huit heures, elle se posait encore sur ma poitrine et dans mes cheveux, et les miennes parcouraient, frémissantes, tout ton corps. Adieu, adieu, au revoir si tu veux, si tu le permets ; oui, au revoir. Vivement.