Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 1/0043

Louis Conard (Volume 1p. 71-72).

43. À CAROLINE FLAUBERT, SA SŒUR.
Marseille, 29 septembre 1840.

Joli rat, j’ai reçu votre lettre à Toulouse où vous me mandez que le chagrin n’empêchait pas vos criques de manger des gigots. Je suis content qu’une santé si chère soit toujours bonne et ma seule inquiétude était qu’elle ne se dérangeât pendant mon absence.

Nous sommes arrivés ce matin à Marseille, après nous être embarqués à Toulouse par le canal du Midi et avoir vu Castelnaudary, les écluses de Saint-Ferréol, Carcassonne, où nous sommes restés un jour, Narbonne, Nîmes, le pont du Gard et Arles. Tu ne peux pas te figurer ce que c’est que les monuments romains, ma chère Caroline, et le plaisir que m’a procuré la vue des Arènes.

Je suis réduit, ainsi que mes compagnons de voyage, au dénuement le plus complet et nous sommes tous panés et râpés. Je n’ai pour tout bien que trois chemises et mon gros pantalon d’hiver, pour me délecter sous un ciel cuisant. Ah mâtin ! Mes malles qui devaient nous retrouver à Bagnères-de-Luchon sont encore à venir. Malédiction sur le roulage et sur la sotte idée qui nous a fait nous séparer de nos paquets ! J’ai appris, à propos d’inconvénients de voyage, que votre retour de Nogent[1] avait été très désagréable. Cette nouvelle expérience a dû vous confirmer dans le dessein de ne plus voyager qu’en poste, ce que je vous conseille bien pour l’avenir. Croyez-en un voyageur consommé. À part le léger inconvénient signalé plus haut, nous n’avons pas eu à nous plaindre des voitures et, pour ce qui est de la bonne nourriture, nous nous gorgeons de figues et de raisins, surtout l’abbé[2], qui ne fait absolument pas autre chose. M. Cloquet est très bon et je remercie Achille de m’avoir procuré un pareil compagnon de voyage. Il se permet de temps en temps des plaisanteries sur le chapeau de cérémonie de Mlle Lise[3] qui l’autre jour a été près d’en pleurer.

Après-demain nous partons pour Toulon et de là je vous dirai le jour du départ pour la Corse. Il est bien décidé que notre retour sera avant le 1er novembre.


  1. Nogent-sur-Seine, où le grand-père de Flaubert était vétérinaire. Voir p. X.
  2. Abbé Stéphany, ami du Dr Jules Cloquet.
  3. Sœur du Dr Jules Cloquet.