Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 1/0034
Si j’ai tardé à t’écrire, tu vois que je m’empresse de réparer mon inconcevable insouciance ; arrive donc ici, ange du mal dont la voix me convie… Que tu en auras à me dire de toutes les façons, de toutes les couleurs possibles !
Achille est en Italie avec sa femme. Il est parti depuis le 20 juin, et maintenant il doit être à Rome. Il a déjà vu le midi la France, Gênes, Pise, Naples. Il sera de retour vers le 15 octobre, mais je crois que tu as oublié ce que je t’écrivis, car il me semble drôle que je ne t’en aie pas encore parlé ; au surplus, c’est bien possible. Quant à moi, je t’attends. J’ai lu depuis le commencement des vacances deux volumes de Ch. Nodier, de l’Eschyle, un volume d’antiquités de Mr de Caumont. Je lis maintenant de Maistre et un roman de Charles de Bernard ; tout cela ne fait pas beaucoup. J’ai écrit, il y a une quinzaine de jours, un conte bachique[1] assez cocasse, que j’ai donné à Alfred. Mais si je ne te le lis que plus tard et que tu sois privé pour la prochaine visite que tu vas me faire, console-toi : j’ai de quoi t’embêter avec mes productions pendant un long temps, plus bruyant qu’agréable. Le fameux mystère que j’ai fait au printemps demande seul trois heures de lecture continue d’un inconcevable galimatias, ou, comme aurait dit Voltaire, d’un « galiflaubert », car je puis me vanter que c’est peu commun, ce qui est fâcheux, car cette distinction fait si bien qu’on ne le reconnaît pas.
Le « Garçon », cette belle création si curieuse à observer sous le point de vue de la philosophie de l’histoire, a subi une addition superbe, c’est la maison du Garçon où sont réunis Horbach[2], Podesta, Fournier, etc…, et autres brutes ; tu verras du reste.
Caroline[3] est malade ; elle va un peu mieux. Elle a été reprise de la même indisposition qu’elle avait eue au mois de juin. Je pense que ce sera fini sous peu.
Adieu, cher ami. Embrasse toute ta famille pour moi, le père Motte et son épouse.