Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 1/0017
C’est avec bien du plaisir que je puis te dire maintenant d’une manière bien certaine que nous irons te voir sous peu, paroles de papa. Alors tu nous devras revanche et j’espère aussi que tu suivras la bonne habitude de venir passer une huitaine de jours avec nous. Il y a près de quinze jours que j’ai fini ma Frédégonde[1], j’en ai même recopié un acte et demi. J’ai un autre drame dans la tête. Gourgaud me donne des narrations à composer.
J’ai lu depuis que tu ne m’as vu Catherine Howard et la Tour de Nesle. J’ai lu aussi les œuvres de Beaumarchais, c’est là qu’il faut trouver des idées neuves. Maintenant je suis occupé au théâtre du vieux Shakespeare, je suis en train de lire Othello, et puis je vais emporter pour mon voyage, l’Histoire d’Écosse en trois volumes par W. Scott, puis je lirai Voltaire. Je travaille comme un démon, me levant à trois heures et demie du matin.
Je vois avec indignation que la censure dramatique va être rétablie et la liberté de la presse abolie ! Oui, cette loi passera, car les représentants du peuple ne sont autres qu’un tas immonde de vendus. Leur vue c’est l’intérêt, leur penchant la bassesse, leur honneur est un orgueil stupide, leur âme un tas de boue ; mais un jour, jour qui arrivera avant peu, le peuple recommencera la troisième révolution ; gare aux têtes, gare aux ruisseaux de sang. Maintenant on retire à l’homme de lettres sa conscience, sa conscience d’artiste.
Oui, notre siècle est fécond en sanglantes péripéties. Adieu, au revoir, et occupons-nous toujours de l’Art qui plus grand que les peuples, les couronnes et les rois, est toujours là, suspendu dans l’enthousiasme, avec son diadème de Dieu.
Mille amitiés.
- ↑ Pour les écrits de jeunesse de Flaubert non publiés, en voir la liste dans Œuvres de jeunesse inédites, t. Ier, p. 543.