Correspondance d’Orient, 1830-1831/009

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LETTRE IX.

HISTOIRE D’ATHÈNES.

À bord du Loiret, juin 1830.

Vous ne devez pas attendre de moi que je vous parle de l’antique splendeur d’Athènes ; les modernes ont fait plus de livres sur ce sujet que la Grèce n’en a jamais produit. Je prendrai la ville de Cécrops au moment où sa propre gloire l’abandonne, lorsqu’elle cesse d’être une république florissante. Il faut remonter, pour cela, à l’expédition de Sylla ; Athènes, à cette époque, pour échapper au joug des rois de Macédoine, se livra aux Romains, et, pour échapper aux Romains, se livra à Mithridate ; elle se trouva mêlée à toutes les guerres civiles de Rome ; elle perdit son indépendance au milieu de ces guerres où Rome perdit sa liberté, et l’histoire peut dire que les deux plus illustres républiques de l’univers périrent ensemble. Rome au moins, conserva l’empire, Athènes resta avec ses souvenirs et ses ruines.

Toutefois, cette époque pour elle fut encore une époque glorieuse ; les arts de la Grèce avaient déjà charmé les Romains ; tandis que les légions du Tibre arboraient leurs aigles sur le Parthénon, la ville de Thésée envoyait à Rome ses sophistes et ses philosophes. Ses orateurs, ses poètes, ses historiens étaient admirés comme des modèles chez le peuple-roi ; on se vantait, dans les assemblées du Forum et du Capitole, de parler la langue d’Homère, de Démosthènes, d’Euripide et de Platon ; il faut entendre les éloges donnés par Cicéron à la ville mère des sciences et des arts ; jamais, en un mot, on ne vit un peuple, vaincu parles armes, faire oublier ainsi ses défaites par les souvenirs de sa gloire, et triompher avec tant d’éclat de la nation qui lui donnait des lois. La plupart des empereurs de Rome mirent leur gloire à protéger Athènes, et le nom de Philhellènes, qu’on a tant prodigué de nos jours, était un titre glorieux pour les plus illustres des. Romains. L’empereur Adrien se distingua parmi les protecteurs d’Athènes, et voulut qu’il y eut une ville d’Adrien à côté de la ville de Thésée. Athènes, cependant, qui s’était mêlée aux troubles de la république romaine, se trouva en quelque sorte associée aux vicissitudes de l’empire. Les souvenirs de sa prospérité lui attirèrent deux fois l’attaque des Barbares. L’Attique et sa capitale furent d’abord ravagées par les Scythes sous le règne de Claude, successeur de Galien. Cinquante ans après, les Goths, conduits par Alaric, passèrent les Thermopyles ; Athènes leur ouvrit ses portes. Je ne répéterai point la fable de l’historien Sosime, qui nous montre la déesse Minerve armée de sa terrible égide, et l’ombre menaçante d’Achille repoussant les phalanges des Barbares. L’histoire ne s’arrête point à de pareils prodiges, et le vrai miracle de cette époque fut le respect d’Alaric pour les monumens d’Athèhes. Cynésius, auteur contemporain, compare ce qui restait alors de la gloire d’Athènes, à la peau des victimes offertes en sacrifice ; il ajoute que la ville de Cécrops était plus fameuse par son commerce de miel que par ses écoles de philosophie. Rome avait porté la première atteinte à la puissance d’Athènes : Constantinople lui devint encore plus funeste, car, sous l’empire de Bysance, elle fut tout à fait oubliée, et les successeurs de Constantin y prenaient si peu d’intérêt, qu’on voit Arcadius traiter magnifiquement et regarder comme son allié Alaric qui venait de ravager la Grèce. Les Grecs du Bosphore se vantaient d’être des Romains, et méprisaient les autres Grecs : déplorable symptôme de la décadence de ce Bas-Empire, avec qui toutes les gloires devaient tomber.

Plusieurs siècles s’écoulèrent sans que l’histoire prononçât le nom d’Athènes : on n’en parlait plus que lorsqu’il était question de lui donner des gouverneurs qui l’opprimaient ou de lever des tributs qui achevaient sa ruine. Ses écoles de philosophie, quoique déchues de leur ancienne splendeur, avaient subsisté jusqu’au milieu du sixième siècle. Ce fut l’empereur Justinien qui les fit fermer. On vit alors ce qui restait des disciples de Platon et des sages de la Grèce, chercher un asile à la cour de Cosroës. Ces illustres fugitifs croyaient trouver parmi les Perses quelques images de la sagesse et de la gloire des premiers jours ; mais, bientôt désabusés, ils revinrent mourir au milieu des ruines de leur patrie, ne pouvant plus vivre ni avec les Barbares qu’ils venaient de voir, ni avec les Grecs qui ne les comprenaient plus. C’est ainsi que fut brisée cette chaîne d’or qui avait traversé avec tant d’éclat les plus beaux siècles d’Athènes, et qui liait encore les temps obscurs de Simplicius aux temps glorieux de Platon et de Socrate.

Les annales de l’Église nous ont cependant conservé quelques souvenirs d’Athènes. Je vous ai déjà parlé de la prédication de saint Paul en présence de l’Aréopage. Denis, qui se convertit alors, fut le premier évêque d’Athènes. L’Attique eut ses martyrs et ses apôtres comme les autres parties du monde romain, et ce qui nous donne quelque surprise, c’est que les persécutions eurent lieu sous les règnes d’Adrien et de Trajan. Les progrès du christianisme ne durent pas être aussi rapides à Athènes que dans beaucoup d’autres cités. Une ville qui était comme la métropole des dieux, devait tenir plus que les autres à des croyances qui se liaient à la gloire de ses monumens.

Dès le premier siècle de l’ère chrétienne, on avait commencé à lire aux jardins d’Académus l’Évangile de saint Mathieu. Les épitres de saint Paul furent multipliées par les calligraphes du Pacyle ou du Prytanée. Les fidèles établirent des logothètes ou notaires publics pour recueillir les actes des martyrs. Le philosophe Aristide et l’évêque Quadratus avaient fait une apologie du christianisme qui fut présentée à l’empereur Adrien ; mais les autels du paganisme subsistaient encore Minerve, Mercure, Apollon, ne paraissaient pas plus pressés de quitter le Parthénon que les Turcs ne le sont au moment où je vous écris. Ce ne fut guères que dans le quatrième siècle que les temples furent changés en églises, et que la ville de Thésée devint une ville chrétienne. Elle fut alors la métropole du christianisme dans la Grèce. Les prêtres de l’évêché d’Athènes héritèrent des biens dont la superstition avait doté les temples de Jupiter, de Thésée, de Minerve, etc. Le clergé d’Athènes était très-puissant au sixième siècle, et sa puissance se conserva jusqu’au temps de la conquête de la Grèce par les Latins.

Au commencement du douzième siècle, on ne parlait plus d’Athènes en Europe ; ce fut la cinquième Croisade qui la fit paraître de nouveau sur le théâtre des événemens. L’empire grec étant tombé aux mains des Croisés, Athènes devint le partage d’un gentilhomme bourguignon, Othon de la Roche, qui avait suivi le marquis de Montferrat dans la conquête de la Grèce. Othon de la Roche, qui prenait le titre de Mégaskir, ayant refusé de reconnaître la souveraineté du prince de Morée, dont il était le vassal, eut d’abord une guerre à soutenir contre Guillaume de Villardouin. Je ne parlerai point de cette guerre dans laquelle Othon de la Roche fut vaincu et obligé de se soumettre. Je ne puis toutefois oublier ici une des singularités de l’histoire d’Athènes, qu’on n’a point connue jusqu’à nous. Comme le prince Guillaume avait renvoyé le Mégaskir par-devant le roi de France pour la peine encourue par ses félonies, celui ci traversa la mer et se rendit à Paris. Lorsqu’il se fut présenté devant le roi, le monarque se fit lire la lettre de Morée, et rassembla tous les grands qui se trouvaient dans la capitale. On examina gravement la conduite du Mégaskir ; on délibéra sur la peine qu’il avait encourue, puis un des barons se leva et lut à haute voix le jugement rendu par l’assemblée. Cette sentence des barons condamnait le Seigneur d’Athènes à jurer foi et hommage au prince de Morée, mais en considération d’un long voyage pénible et long comme celui qu’il venait de faire, et parce qu’il avait remis sa cause aux mains d’un aussi grand seigneur que le roi de France, on te renvoyait absous. Le mégaskir d’Athènes ôta son chaperon et remercia le roi et la cour. « Puisque vous êtes venu ici de loin, lui dit alors le monarque, il n’est pas convenable que vous retourniez en Romanie sans avoir obtenu quelque grâce. » Le mégaskir se recueillit un moment et répondit « Je remercie votre, couronne et votre royauté de la bonne disposition que vous me montrez. La seigneurie d’Athènes, que je possède ayant été anciennement gouvernée par un duc, il me serait agréable, si cela vous plaisait, qu’on me donnât désormais le titre de duc. » Le roi accueillit sa demande, et le mégaskir fut élevé sur le trône ducal dans l’intérieur du palais. La chronique de Morée, d’où je tire ce fait, ne donne point de date à son récit ; il est probable, que le Mégaskir fit son voyage peu de temps avant l’avènement du duc d’Anjou au trône de Naples, et quelques années après la première Croisade de Louis IX.

Vous voyez qu’on venait alors des contrées d’Orient pour être jugé par le roi justicier. Vous ne serez pas fâché d’apprendre en même temps que la seigneurie d’Athènes fut érigée en duché par le roi de France, et que la réception du premier duc se fit dans le palais de la Sainte-Chapelle, Paris, lorsque le roi et la cour célébraient les fêtes de Pentecôte.

À son retour à Ahènes, Othon de la Roche gouverna son duché avec sagesse. Devenu un des plus fidèles vassaux des princes de Morée, il ne cessa point de servir l’association des Francs, tantôt par ses conseils, tantôt par sa valeur. Sa dynastie n’alla qu’à la troisième génération, et le dernier de ses héritiers mâles eut pour successeur au duché d’Athènes Gauthier de Brienne, issu d’une illustre famille de Bourgogne. Maître du duché d’Athènes, Gauthier de Brienne eut d’abord à se défendre contre le despote d’Arta, le seigneur de Blaquie, et l’empereur, grec de Bysance, ce qui l’obligea d’implorer la bravoure des Catalans. Cette milice redoutable avait d’abord servi la cause de Frédéric d’Aragon, devenu roi de Sicile. Pour connaître ces héros du brigandage, il faut lire dans Muntaner les motifs qui engagèrent leur chef Roger à les entraîner dans les contrées lointaines de l’Orient. « Les Catalans, disait-il, sont comme les autres hommes, nul ne peut vivre sans boire ni manger ; ils n’auront rien du roi qu’ils auront servi, et feront le carême par force : à la fin, ils ravageront le pays, et mourront tous isolés. Il faut donc, puisque que j’ai servi Frédéric de Sicile, qui m’a comblé d’honneurs, que je tâche de le débarrasser des ces hommes à son honneur et à l’avantage de tous tant qu’ils sont » Lorsque Gauthier de Brienne appela les Catalans à son secours, ils venaient de ravager l’empire grec qu’ils avaient été appelés à défendre. Avec de pareils auxiliaires, le duc d’Athènes n’eut pas de peine d’abord à triompher de ses ennemis. Il n’en fut pas de même quand il voulut se débarrasser de ses défenseurs : il fut obligé de prendre les armes contre eux. Une bataille fut livrée dans le territoire d’Athènes, non loin des jardins d’Académus. Les Catalans campaient sur les bords du Céphise ; ils s’étaient retranchés derrière des fossés remplis d’eau. L’histoire donne peu de détails sur la bataille dans laquelle Gauthier de Brienne perdit la vie, et qui rendit une milice aragonnaise maîtresse de l’Attique ; d’Athènes et du Parthénon. Les Français qui se trouvaient dans le pays, furent massacrés. L’historien des Catalans fait éclater, à ce sujet, une joie barbare, et s’écrie : « Tenez pour certain qu’il n’en échappa pas un seul. »

Dès-lors Athènes devint la proie d’une troupe d’aventuriers, étrangers aux nobles lois de la chevalerie et ne connaissant d’autres droits que ceux de la force et du glaive. Ils s’appelaient dans leurs actes la Grande Compagnie, et sur leur sceau étaient inscrits ces mots : La fidèle communauté ou l’armée des Francs en Romanie. Gauthier de Brienne avait laissé un fils qui implora plusieurs fois l’assistance des rois de l’Europe et des chefs de l’Église pour venger le trépas de son père et reprendre le duché d’Athènes. On prépara plusieurs, expéditions : le pape Jean XXII excommunia plusieurs fois les Catalans, et fit publier contre eux une Croisade. Toutes ces menaces, tous ces préparatifs restèrent sans effet ; et le malheureux fils de Gauthier de Brienne, après avoir consumé sa vie en efforts inutiles, alla mourir à la bataille de Poitiers. Sur son tombeau, on lui donnait encore le titre de duc d’Athènes.

J’avoue que, dans ce temps de décadence et de ruine, rien ne m’étonne plus que le langage fastueux des cercueils. Il me semble relire les vieux poètes qui ont décrit l’empire des morts, et qui nous représentent les pâles humains rêvant encore, sur les sombres rivages, des grandeurs évanouies, des couronnes brisées et des royaumes qui ne sont plus.

La domination des Catalans dura plus d’un siècle, et nous ne savons leur histoire que par les malheurs du pays soumis à leurs armes. Du sein des désordres et dès grandes calamités, sortit une nouvelle dynastie pour le duché d’Athènes ; la famine d’Acciaoli, issue de Florence, vint régner sus l’Attique au milieu d’un peuple désolé, en présence des Turcs et de tous les partis qui se disputaient cette terre malheureuse. On vit alors dans Athènes tous les genres de corruption qui signalent la décadence des états ; on peut dire que la Grèce finit comme elle avait commencé, par des barbaries et par des crimes, elle devait rester enfin aux plus barbares, et les Turcs s’en emparèrent, Mahomet II entra dans Athènes sept ans après la prise de Constantinople, il épargna comme Alaric les habitans et les ruines d’une ville qui lui inspirait une sorte de respect, et qu’appelait la ville des philosophes. Soumise aux osmanlis, Athènes tomba dans l’oubli, et cette reine des cités resta au milieu de ses ruines désertes comme une captive abandonnée. Toutefois sa servitude fut plus supportable que celle de beaucoup d’autres cités de la Grèce ou de l’Asie. On ne cessa jamais d’y parler là langue grecque, qui devint même la langue des vainqueurs ; la population grecque avait conservé quelques-uns de ses priviléges, les impôts étaient modérés les chrétiens pouvaient s’y livrer en paix à l’exercice de leur culte.

Vous savez sans doute que la ville d’Athènes avait été donnée au Kislar-aga et que le chef des eunuques noirs se trouvait ainsi le successeur de la Roche et de Gauthier de Brienne. Voici comment les Grecs d’Athènes racontaient le fait, du temps de Laguilletière qui le rapporte lui-même d’après ce qu’il avait entendu dire sur les lieux. Une jeune Athénienne, nommée Basilia, fut enlevée à sa famille par des officiers turcs qui levaient la taxe des enfans. Sa mère, fondant en larmes et la prenant entre ses bras, la conjura de se souvenir toujours de sa religion et des misères de son pays. Elle fut conduite au sérail du grand seigneur, et, comme elle était, d’une grande beauté, le sultan ne manqua pas d’en être vivement épris la pauvre Athénienne n’avait point oublié sa patrie, et ce souvenir lui revenait sans cesse, lorsque sa hautesse était auprès d’elle dans ce temps-là, comme dans des temps moins éloignés de nous, les femmes du sérail exerçaient une grande influence sur la nomination du gouvernement des provinces ; l’ambition des pachas s’adressait au Kislar-aga, soit pour obtenir le gouvernement des pays conquis, soit pour acheter l’impunité de leurs vexations. Basilia pensa que si le Kislar-aga possédait lui-même la ville d’Athènes, il ne vendrait pas à d’autres le droit de la dépouiller, et qu’elle se trouverait par là plus ménagée, mieux protégée que les autres. Comme le sultan la pressait un jour de lui demander une grâce, elle lui dit « Je n’ai plus besoin de rien pour moi, et je ne connais personne dans votre empire à qui je puisse donner quelque chose que le Kislar-aga que voilà ; je ne puis rien demander pour lui que la ville où je suis née ; donnez-lui le revenu d’Athènes et qu’il y envoye des Kiaias ou lieutenans qui n’abusent point de votre autorité, comme on l’a fait jusqu’ici. » Ce que demandait Basilia lui fut accordé, et la ville d’Athènes devint le domaine du chef des eunuques noirs.

Les voyageurs ont souvent exprimé leur surprise de voir la ville de Thésée gouvernée par le Kislar-aga ; mais il ne faut pas oublier qu’il n’est plus question de la gloire d’Athènes, mais seulement des tristes privilèges de la servitude ; je ne vous dirai point combien de maux on avait épargnés à cette ville en la sauvant de la domination d’un pacha. Plusieurs autres cités, plusieurs îles de l’Archipel ont été données ainsi à des officiers du sérail, ou à des femmes du harem impérial, et tout le monde s’accorde à dire que les pays soumis à cette espèce d’autorité, ne sont pas ceux qui souffrent le plus de la domination des osmanlis.

Quoique l’Europe eût détourné ses regards des provinces de la Grèce occupées par les Turcs, on portait encore le titre de duc d’Athènes dans quelques familles. Une chapelle de l’église de Saint Denis renfermait un mausolée : où se lisaient ces mots funèbres : Ci-gît madame Jeanne d’Eu, jadis comtesse d’Étampes et duchesse d’Athènes, etc. Le titre de duc d’Athènes était devenu comme une prérogative héréditaire comme une distinction honorifique à laquelle ne se rattachait plus aucune idée de possession ; il en était de même de toutes les principautés d’Orient qu’on avait perdues, et c’est ainsi que nous avons pu voir parmi les souverains et les princes de notre Europe moderne des rois de Chypre et des rois de Jérusalem.

Les princes de l’Église avaient fait comme les princes de la terre ; depuis que le Coran avait envahi les provinces chrétiennes de l’Orient, Rome ne cessa point d’y nommer des évêques, qui prenaient le titre d’évêque in partibus infidelium. Elle ne cessa point d’y envoyer ses saintes milices, et les missions du levant attestent les sollicitudes de l’Église latine pour les fidèles d’outre-mer et pour ses enfans d’Athènes. À ces époques malheureuses, le génie du commerce poussait encore les Vénitiens et les Génois aux rivages de l’Attique et le Pirée attirait parfois l’attention des puissances maritimes de l’Europe chrétienne. Ainsi, la religion et le commerce semblaient seules se ressouvenir d’Athènes : le reste du monde l’avait oubliée.

Enfin, tel était l’oubli dans lequel était tombée cette ville célèbre, que son existence même fut un moment ignorée. Lorsqu’en 1584 un savant d’Allemagne publia quelques renseignemens sur Athènes, cette publication frappa l’attention publique comme une découverte merveilleuse. Tout ce qu’on apprenait sur la cité de Minerve et sur les monumens qui avaient triomphé du temps et des Barbares, remplissait de surprise les érudits et les ignorans. On remarquait surtout dans ces documens si nouveaux une lettre écrite par un Grec, habitant de Naupli, qui était allé plusieurs fois à Athènes, et qui avait vu le Parthénon. Il faut ajouter cependant que cet habitant de Naupli terminait sa lettre comme je pourrais terminer la mienne avec bien plus de raison, par ces mots remarquables « Athènes ne ressemble plus qu’au squelette informe d’un animal mort depuis nombre d’années. »

Dans une lettre précédente je vous parlais des ruines d’Athènes, qui sont aujourd’hui comme la dernière page de son histoire. Je, ne reviendrai point sur ce lugubre sujet ; je vous rappellerai seulement qu’il y avait dans les beaux temps de la Grèce, des sophistes, des orateurs et des poètes qui prononçaient l’éloge et le panégyrique des cités. S’il se trouvait encore des orateurs et des poètes dans ces malheureuses contrées, je voudrais les voir consacrer leur génie à célébrer ce qui reste de la gloire des anciennes villes grecques ; je voudrais les voir prononcer l’oraison funèbre d’Athènes, comme parmi nous Bossuet prononçait l’éloge d’une puissance de la terre ou d’une grande reine étendue devant lui dans un cercueil.