Correspondance 1812-1876, 6/1871/DCCCXXXVII


Texte établi par Calmann-Lévy,  (Correspondance Tome 6 : 1870-1876p. 183-185).


DCCCXXXVII

À M. ALEXANDRE DUMAS FILS, À PARIS


Nohant, 21 décembre 1871.


Comprenez-vous, mon fils, que, depuis avant-hier soir, où nous avons lu votre pièce[1] reçue le matin, je n’ai pas eu une minute pour vous écrire ? et pourtant je mange vite et dors peu. Mais c’est comme cela dans certains moments de l’année. Enfin, avant que mes hôtes arrivent, je veux vous dire qu’elle est excellente, la pièce, excellente et superbe, pleine de vérité, de passion et de cœur. Cette femme colère et généreuse est une grande figure. « Elle est sensuelle, » a dit Sarcey ! et pourquoi ne le serait-elle pas ? mais elle est femme et loyale, elle le payera cher. Le mari recommencera, elle sera forcée de le haïr, de le mépriser et de le quitter, si elle a des enfants, parce qu’il les ruinerait et les perdrait. Mais qu’est-ce que cela fait à la pièce qui est un premier acte du drame de cette vie néfaste ? Pourquoi veut-on s’en aller content de tous les personnages et certain de leur heureux avenir ? Vous ne vous êtes pas engagé à montrer une aventure agréable, vous avez fait un drame poignant avec les éléments les plus simples, les situations les plus connues, les plus usées, et vous avez fait avec cela une chose tout à fait neuve. Le dénouement est ingénieux et je n’y trouve rien à redire. Qu’est-ce qu’une balle allant à son adresse eût prouvé ? Qu’ils sont bêtes, ces Parisiens des premières représentations ! Ils veulent faire les pièces eux-mêmes. Ce serait du propre !

Le dialogue est un chef-d’œuvre ; la scène de femmes du monde a été très blâmée : je ne cherche pas si elle prouve ceci ou cela ; elle vient là à point, comme le chœur antique pour dire : Malheur ! Malheur ! et, sous une forme légère, elle enfonce le poignard. Elle est navrante en plaisantant. Je ne la sépare pas de l’action, elle la dramatise, l’explique et l’accuse.

On avait dit que vous refaisiez le dénouement après la première représentation, les journaux avaient même annoncé relâche. J’étais désolée, indignée contre Montigny, que je voyais, là, servile comme de coutume devant son public. Je me demandais si, à présent, on allait laisser les journalistes refaire les pièces et je ne pouvais croire que vous subiriez ce mandat impératif digne des communeux. Dieu merci, non, c’est au public de vous suivre et non à vous de lui céder.

Sur ce, votre maman, bien contente, vous embrasse de tout son cœur.

G. SAND.


Maurice et Lina trouvent la pièce trop triste ; ce n’est pas une critique, car ils conviennent que, quand on veut faire une chose douloureuse, il ne faut pas la faire à moitié. La scène où la princesse dit à son mari : « Je vous aime, je ne peux pas faire que cela ne soit pas, » est de premier ordre. Vous voyez que votre maman fait attention à tout.

  1. La Princesse Georges, représentée au théâtre du Gymnase, 2 décembre 1871.