Correspondance 1812-1876, 4/1858/CDXXXV



CDXXXV

À M. CHARLES PONCY, À TOULON


Nohant, 19 juin 1858.

J’ai reçu le Frère et la Sœur[1], et cela m’a rappelé une grosse rancune que j’ai eue et qui me revient contre les directeurs de l’Odéon[2] ; des amis pourtant, et de braves amis à tout autre égard, mais qui, après m’avoir positivement promis dix fois de faire jouer cette pièce, n’ont jamais su pouvoir, tandis qu’ils se laissaient imposer, par toute sorte de considérations de position et de camaraderie, une foule d’œuvres infiniment moins bonnes. Et leur direction a fini sans qu’ils aient trouvé place pour cette chose si courte et si facile à monter ! Ils sont à l’Opéra maintenant.

Enfin, voilà votre œuvre imprimée ! Merci de la dédicace, mon cher enfant. Je trouve la pièce très améliorée, et, en ne me plaçant plus au point de vue de la représentation, je retire ma critique et j’en trouve la lecture très attrayante. Vos personnages causaient avec un peu trop de recherche pour la scène. Dans un livre, c’est autre chose : on parle comme on veut parler, et c’est cette grande liberté du livre, ce grand esclavage de la mise en scène qui m’ont fait revenir au roman avec plaisir, sauf à essayer plus tard de retourner au théâtre si le cœur m’en dit.

Il y a bien longtemps que je ne vous ai donné de nos nouvelles. Nous avons eu de gros chagrins dans ce dernier coup de main qui nous a encore jeté hors de France plus d’un de nos meilleurs amis, coupables apparemment de s’être tenus tranquilles. — J’en ai été malade de chagrin et d’indignation. — Mais on ne doit pas parler de cela, si on veut que les lettres parviennent. Je présume d’ailleurs que, chez vous, les choses se sont passées de même.

Maurice est encore à Paris, occupé de travaux que je donne au diable ; car j’ai faim et soif de le voir. Il va arriver j’espère… Sol… est à Turin, où elle se remet très bien de sa santé détraquée. Émile est à Paris, créateur d’une agence excellente, dont il devait vous envoyer le prospectus. Vous ne m’en parlez pas ; donc, je vous l’envoie et vous engage à lui donner votre clientèle. Je pense qu’il réussira et qu’il rendra de grands services aux artistes par son intelligence, son honnêteté et sa connaissance des affaires.

Bonsoir, chers enfants. Je vous embrasse tendrement tous trois. Je suis contente que Christian Waldo[3] vous amuse.

  1. Pièce de Charles Poncy.
  2. Alphonse Royer et Gustave Waëz.
  3. L’Homme de neige.