Correspondance 1812-1876, 4/1858/CDXXXVI



CDXXXVI

À M. FERRI-PISANI, À PARIS


Nohant, 28 juin 1858.


Monsieur,

Je suis chargée par Maurice, qui s’honore de votre sympathie, de vous parler d’une grande affaire que je viens de me faire expliquer par lui et par une personne fondée pour en poursuivre la réalisation.

C’est une très grande et importante question, qui déjà, je le présume, est à l’étude entre vos mains, si vos fonctions auprès du prince comportent maintenant, comme je l’espère, l’examen des questions vitales de l’Algérie. Je crois donc qu’il est absolument inutile que je vous en entretienne, d’autant que cinq minutes de votre attention sur les pièces vous auront donné plus de lumière qu’un volume de moi.

Cependant, si, au milieu du hourvari de l’installation et des importunités des solliciteurs, cette affaire ne se présentait pas vite, sous vos yeux, elle pourrait courir à la mauvaise solution qu’elle a déjà subie et qu’il appartient au prince de ne pas sanctionner sans un sévère examen.

Il s’agit des intérêts d’une population entière, d’une illégalité à ne pas consacrer, et des intérêts de l’État, engagés dans une dépense inutile de beaucoup de millions. Donc, il s’agit, avant tout cela, des intérêts moraux du prince et d’un des premiers devoirs de la mission qu’il vient d’accepter. Voilà pourquoi j’ai pris tout de suite à cœur cette question dès qu’elle m’a été exposée ; et, comme il importe beaucoup qu’elle soit une des premières qu’il examine, je vous demande d’écouter, pendant dix minutes seulement, mon ami Émile Aucante, qui la connaît à fond et qui sait parfaitement la résumer en peu de mots. C’est un homme sérieux qui sait la valeur du temps et une conscience à l’abri de toute préoccupation personnelle. Ce qu’il est chargé de demander est un bienfait général, et non point une faveur particulière ; c’est une enquête, c’est un travail et une décision ministérielle ; c’est le redressement d’une erreur qui intéresse trente mille habitants de l’Algérie.

Les pièces ont été présentées à l’empereur trop récemment pour avoir obtenu une solution. Il dépendra peut-être de vous qu’elles ne subissent pas l’agonie de leur numéro d’ordre, et qu’elles prennent la place qui leur appartient par leur importance.

Je vous demande pardon de ne pas mieux savoir me résumer moi-même, et de vous dire cela en trop de mots. Mais il n’en faut qu’un pour vous dire l’amitié qu’on se permet d’avoir ici pour vous.

GEORGE SAND.