Correspondance 1812-1876, 4/1854/CCCLXXIX


CCCLXXIX

À M. CHARLES PONCY, À TOULON


Nohant, 11 août 1854.


Mon cher enfant, je vous remercie de m’écrire, et je vous écris aussi, bien que ce ne soit qu’un mot, pour que vous ne soyez pas inquiet de nous : Nous avons aussi le voisinage du choléra. Il sévit assez sérieusement à Châteauroux. Peut-être ne viendra-t-il pas jusqu’ici. Il ne faudrait pourtant pas trop s’y fier ; mais je n’en suis pas frappée et effrayée comme vous l’êtes, et permettez-moi de vous dire qu’il faut combattre un peu cette préoccupation qui pourrait être nuisible, si vous étiez atteint même d’un léger mal. Tant d’autres dangers roulent incessamment sur nos têtes, qu’un de plus ne devrait pas assumer sur lui nos angoisses. Je suis bien d’avis qu’il faut s’y soustraire autant que possible et reculer devant le péril qui se particularise, à cause surtout de ceux que nous aimons. Mais, quand on a fait ce qu’on peut et ce qu’on doit, il faut attendre la destinée avec calme. Quand le tonnerre gronde, on fait bien de ne pas se mettre sous les grands arbres. Mais, une fois en plein champ, il faut se dire qu’on a toutes les chances, sauf une, pour qu’il ne vous atteigne pas. Vous me direz que cette chance, grande comme la main, est aussi importante dans le domaine de l’inconnu, du hasard, que la surface entière du globe. Eh bien, alors, n’y pensons pas pour nous-mêmes, puisqu’un aérolithe peut tout aussi bien tomber sur nous du fond d’un ciel pur.

Écrivez-moi et dites-moi quand même vos idées noires, si vous ne pouvez les surmonter. J’aime mieux cela que votre silence. Les journaux nous disent que le fléau se retire de vous. Mais je ne crois pas absolument à ce qui est imprimé.

Voilà bien un autre choléra en Espagne ! Encore une fois, la glace est brisée ; mais le peuple en sortira-t-il plus heureux ? Avant un mois, Espartero bombardera ces bonnes villes qui l’appellent comme un sauveur et qui ont déjà oublié ses bombes à peine refroidies ! C’est partout et toujours la même histoire qui recommence, et c’est à dégoûter des articles de foi, dans quelque sens qu’on les envisage.

J’ai eu beaucoup de chagrin et d’inquiétude pour ma fille, qui se croyait fort malade et qui m’envoyait presque ses derniers adieux. Son médecin m’écrit qu’elle n’a presque rien et que je me tienne tranquille.

J’embrasse Solange et Désirée. Mille tendresses d’ici, toujours.