Correspondance 1812-1876, 3/1851/CCCXXIX


CCCXXIX

À M. EDMOND PLAUCHUT, À PARIS


Nohant, 11 avril 1851.


Votre lettre m’a beaucoup touchée, monsieur, et, dans le service que vous ont rendu les miennes, je vois quelque chose de providentiel entre Dieu, vous et moi. Je n’ai pas l’habitude de répondre à cette foule de lettres oiseuses et inutiles qu’on écrit à toutes les personnes un peu connues dans les arts, et auxquelles le temps et la raison ne permettent pas de donner une attention sérieuse. Mais la première que je reçus de vous me prouva, par sa modestie et sa sagesse, que je devais faire une de ces rares exceptions qu’on est heureux de signaler, et, autant qu’il m’a été possible, j’ai répondu aux discrets et généreux appels de votre esprit délicat et sensé. Je m’en applaudis doublement aujourd’hui en apprenant que mon estime et ma sympathie vous ont assuré celles d’un homme généreux dans des circonstances funestes[1]. Faites savoir, je vous prie à M. Francisco Cardozzo de Mello, s’il est toujours aux îles du Cap-Vert, que je suis de moitié dans la reconnaissance que vous lui portez. Elle lui est due de ma part, puisque c’est un peu à cause de moi qu’il vous a si bien traité. Mais son bon cœur a été le premier mobile de sa bonne action, et votre mérite en sera la récompense. Si mes sentiments peuvent y ajouter quelque chose, soyez-en l’interprète auprès de lui.

Vous ne me dites pas ce que vous allez faire à Manille[2]. Croyez que je m’intéresserai cependant à tout ce qui vous concerne et que j’aurai beaucoup de satisfaction à recevoir de vos nouvelles. Je vous envie beaucoup d’avoir la jeunesse et la liberté qui permettent ces beaux voyages, traversés, sans doute, de périls, de souffrances et de désastres, mais où la vue des grands spectacles de la nature et des richesses de la création apportent de si nobles dédommagements. Je pense que vous prendrez beaucoup de notes et que vous tiendrez un journal qui vous permettra de donner une bonne relation de vos voyages.

Ces vastes excursions, de quelque côté qu’on les envisage, et le mieux est de les envisager sous tous les côtés à la fois, ont toujours un puissant intérêt, et vous y trouverez des ressources pour l’avenir. Occupez-vous d’histoire naturelle ; n’y fussiez-vous pas très versé, vos collections et vos observations auront leur utilité. Pour ma part, je vous demande des insectes et des papillons ; les plus humbles, les plus chétifs, me seront encore une richesse ; et, comme je connais quelques amateurs, je pourrais, à votre retour, vous procurer d’agréables relations.

La meilleure manière d’apprêter les papillons et les insectes, c’est de ne pas chercher à les préparer. Quand le papillon est tué et piqué dans une longue épingle, ses ailes se ferment et il se dessèche ainsi. On peut donc en apporter une quantité, debout côte à côte dans une boîte assez petite ; et, pourvu qu’ils soient bien plantés et ne se touchent pas, ils ne courent aucun risque. À leur arrivée, on les ramollit, on les ouvre, et on les étale par des procédés très simples, dont je me chargerai. Il faut coller un petit morceau de camphre à chaque coin de la boîte. Vous pourriez aussi apporter des chrysalides de papillons et d’insectes dans du son. Il en meurt, et il en éclôt mal à propos bon nombre dans la traversée ; mais il en arrive toujours quelques-unes qu’on fait éclore ici par une chaleur artificielle et qui donnent des individus superbes.

Mais ce à quoi je tiens beaucoup plus qu’à mes papillons, c’est à recevoir de vos nouvelles, et, si je puis vous être utile en quoi que ce soit, veuillez vous souvenir de moi.

Adieu, monsieur ; mes meilleurs vœux vous accompagnent, et je demande à Dieu qu’ils vous portent encore bonheur.

Tout à vous,
GEORGE SAND.
  1. À la suite du naufrage du navire le Rubens, sur les récifs de l’île de Bona-Vista.
  2. Possession espagnole en Malaisie.