Correspondance 1812-1876, 2/1837/CLXVIII


CLXVIII

À LA MÊME


Nohant, 10 avril 1837.


Affaires !


Chère Marie,

Ni l’une ni l’autre des presses Chaulin ne me convient. N’en parlons plus. Mon voiturier sera à Paris le 12 ou le 14. Il a diverses caisses à m’apporter. Si le piano est prêt, il le rapportera en huit ou neuf jours, et il sera ici du 22 au 25. Voyez si c’est l’époque à laquelle je puis vous espérer. Le piano serait plus en sûreté dans les mains de ce voiturier qu’au roulage ordinaire.

Je veux les fellows, je les veux le plus tôt et le plus longtemps possible. Je les veux à mort. Je veux aussi le Chopin[1] et tous les Mickiewicz et Grzymala du monde. Je veux même Sue[2], si vous le voulez. Que ne voudrais-je pas encore, si c’était votre fantaisie ? Voire M. de Suzannet ou Victor Schœlcher ! Tout, excepté un amant. Quant au mauvais livre, soyez en paix. Il y en a encore en magasin, et laissons dire les sots ; rira bien qui rira le dernier.

Gévaudan est ici, toujours bon et excellent, qui vous aime tendrement et qui parle de vous admirablement. Il est venu, monté sur un bon petit cheval qui est à moi et que vous monterez, car il est infiniment supérieur à Georgette.

J’ai reçu un livre d’Autun sur George Sand avec une lettre de l’auteur, Théobald Walsh, qui me déclare qu’il me méprise profondément ; en raison de quoi, il me demande humblement mon amitié, ce qui n’est guère logique. Je ne lui répondrai que cela.

Je ferai l’article sur Nourrit quand toutes les notices des journaux quotidiens auront paru, et je le ferai sous une autre forme que le feuilleton ; car ce que je ferais aujourd’hui ne ressortirait pas de la foule des banalités qui vont se dire sur son compte. D’ailleurs, le Monde a inséré un article de Fortoul[3], et je ne puis, d’ici à deux mois, me dépêtrer de Mauprat et d’une nouvelle qui suivra immédiatement, pour compléter des volumes, dans la Revue des Deux Mondes. Ainsi, dites-lui que je garde mon bouquet pour le dernier du feu d’artifice.

Je ne prends, du reste, aucun engagement pour l’avenir avec la Revue-Buloz, et je réserve au Monde ma liberté de conscience. — Si Didier[4] se doute de notre poisson, il doit m’en vouloir diablement. Ne nous trahissez pas.

Bonsoir, mignonne ; je suis toute chétive, et l’amour me descend tellement dans les talons, que bientôt je le laisserai tout à fait par terre avec la poussière de mes pieds.

Je ferai pour Aspasie tout ce qu’on voudra ; mais je n’aurai pas un jour de loisir avant la fin de l’été. Le travail m’écrase et mes forces ploient sous le faix.

Adieu encore. Mes amitiés, tendresses et poignées de main à qui de droit.

  1. Frédéric Chopin.
  2. Eugène Sue.
  3. Hippolyte Fortoul.
  4. Charles Didier.