Correspondance 1812-1876, 1/1831/LXV


LXV

À M. CHARLES DUVERNET, À LA CHÂTRE


Nohant, avril 1831.


Je viens vous faire mon compliment, cher camarade. Vous jouez très bien la comédie et je n’ai pas eu besoin de l’indulgence de l’amitié pour vous applaudir. J’eusse voulu avoir les pattes du Gaulois pour entraîner l’auditoire naturellement peu entraînable et beaucoup plus sensible aux farces de cache-cache qu’aux choses bien dites et bien senties. Vous êtes très drôle en garçon et en vieille femme ; mais vous êtes encore mieux dans vos habits, ce qui est, vous le savez sans doute, le plus difficile en scène. Mais dites donc à Soumain de changer de figure s’il veut ressembler à Odry. Il est beaucoup trop gentil pour faire M. Cagnard, et ne fait pas rire parce qu’il ne peut pas être caricature. Quoiqu’il ait des gestes et des manières de dire très conformes à son modèle, personne à la Châtre ne sent le mérite de cette imitation, parce que personne n’a vu Odry. Le gros Chabenat est excellent. Il a plus de naturel qu’aucun de vous, sauf vous. Dites-leur d’apprendre leurs rôles et de ne pas manquer leurs entrées. Individuellement vous jouez bien ; mais vous manquez d’ensemble.

J’ai regret d’avoir manqué votre précédente représentation, j’étais trop malade. J’ai chargé madame Decerf de me prendre vingt billets à votre loterie. J’y aurais coopéré par quelque ouvrage si j’avais eu plus de temps et de santé.

Votre mère m’a dit que toutes ces comédies vous fatiguaient beaucoup. Prenez garde, ne vous faites pas, comme moi, vieux avant le temps.

Bonsoir, mon camarade ; je vous embrasse de tout mon cœur. Avez-vous des nouvelles d’Alphonse ? personne ne m’en donne, ni lui non plus.