Correspondance (d’Alembert)/Correspondance avec Voltaire/114

Œuvres complètes de D’AlembertBelinTome V (p. 201-202).


Paris, 23 juillet 1770.


Vous voulez savoir, mon cher maître, ce que je pense du Système de la nature ? Je pense comme vous qu’il y a des longueurs, des répétitions, etc., mais que c’est un terrible livre ; cependant je vous avoue que, sur l’existence de Dieu, l’auteur me paraît trop ferme et trop dogmatique, et je ne vois en cette matière que le scepticisme de raisonnable. Qu’en savons-nous, est, selon moi, la réponse à presque toutes les questions métaphysiques ; et la réflexion qu’il y faut joindre, c’est que, puisque nous n’en savons rien, il ne nous importe pas sans doute d’en savoir davantage. Le roi de Prusse vous a-t-il envoyé une réfutation qu’il a faite de ce livre ? À propos de ce prince, j’ai écrit il y a quinze jours, et de la manière la plus pressante, et peut-être la plus efficace ; demandez à Chibanou et au comte de Rochefort s’ils sont contents de ma lettre.

Quant à Jean-Jacques Rousseau, je vous ai déjà répondu sur sa souscription ; je vous invite de nouveau à vous détacher de cette idée que vos amis désapprouvent, quoiqu’ils ne veuillent rien faire qui vous déplaise.

Non, on ne jouera point cette infamie du Satirique, et je puis vous dire, sous le secret, que c’est à moi que la philosophie et les lettres ont cette obligation. J’ai fait parler à M. de Sartine par quelqu’un qui a du pouvoir sur son esprit, et qui lui a parlé de manière à le convaincre. Il était temps, car la pièce devait être annoncée le soir même, pour être jouée le lendemain.

On écrira ou l’on fera écrire au procureur-général Riquet, soyez tranquille. La personne à qui vous me priez de recommander cette affaire, m’a promis tout ce qui dépendra d’elle. Cette personne doit être chère à la philosophie, par sa manière de penser ; elle prêche hautement la tolérance et les vœux à vingt-cinq ans.

Fréron est un maraud digne des protecteurs qu’il a ; mais il n’est pas digne de votre colère. Je crois les Anecdotes très vraies ; mais cela ne fera ni bien ni mal à ses feuilles, qui d’ailleurs vont en se décriant de jour en jour. Il y a plus de douze ans que je n’en ai lu une seule.

Adieu, mon cher et illustre maître ; nous avons déjà plus qu’il ne nous faut pour la statue, mais nous recevons toujours les souscriptions, car bien d’honnêtes gens n’ont pas souscrit encore. Êtes-vous sûr que M. le duc de Choiseul ait souscrit ? je sais que c’est son dessein, mais je doute qu’il l’ait encore exécuté. Adieu ; je vous embrasse de tout mon cœur.