Correspondance (d’Alembert)/Correspondance avec Voltaire/112

Œuvres complètes de D’AlembertBelinTome V (p. 199-200).


Paris, 13 juin 1770.


Vous avez dû, mon cher maître, recevoir une lettre de moi par M. Pigal, et une autre par M. Panckoucke ; celle-ci ne sera, pas longue, car, à mon imbécillité continue, s’est joint, depuis quelques jours, une profonde mélancolie. Je crois que je serai votre précurseur dans l’autre monde, si cela continue ; je voudrais bien pourtant, après vous y avoir annoncé, ne pas vous y voir arriver de longtemps. Nous avons élu, lundi dernier, M. l’archevêque de Toulouse à la place du duc de Villars, et assurément nous ne perdons pas au change. Je crois cette acquisition une des meilleures que nous puissions faire dans les circonstances présentes. Il ne sera reçu qu’après l’assemblée du clergé, qui finira dans les derniers jours d’auguste.

Oui, le roi de Prusse m’a envoyé son écrit contre l’Essai sur les préjugés. Je ne suis point étonné que ce prince n’ait pas goûté l’ouvrage ; je l’ai lu depuis cette réfutation, et il m’a paru bien long, bien monotone et trop amer. Il me semble que ce qu’il y a de bon dans ce livre, aurait pu et dû être noyé dans moins de pages ; et je vois que vous en avez porté à peu près le même jugement. Nous avons eu des nouvelles de l’arrivée de Pigal, et de la bonne réception que vous lui avez faite. Savez-vous que Jean-Jacques Rousseau m’a envoyé sa contribution, et que ce Jean-Jacques est actuellement à Paris ? Adieu, mon cher maître, je n’ai pas la force de vous en écrire davantage, mais je n’ai pas voulu tarder plus longtemps à répondre à vos questions. Je vous embrasse et vous aime de tout mon cœur.