Correspondance (d’Alembert)/Correspondance avec Voltaire/068

Œuvres complètes de D’AlembertBelinTome V (p. 149).


Paris, 11 mars 1766.


Ce n’est point un jésuite, mon cher et illustre ami, qui vous remettra cette lettre de ma part, quelque aguerri que vous deviez être à voir cette robe, puisque vous en nourrissez un depuis dix ans ; je ferais scrupule de vous surcharger de pareille marchandise. Ce n’est donc point un jésuite, mais beaucoup mieux à tous égards, que je vous prie de recevoir et d’accueillir ; c’est un barnabite italien, nommé le père Frisi, mon ami depuis longtemps, et digne d’être le vôtre ; grand géomètre qui a remporté plusieurs prix dans les plus célèbres académies de l’Europe, excellent philosophe malgré sa robe, et dont je vous annonce d’avance que vous serez très content. Il s’en retourne à Milan, où il est professeur de mathématiques, après avoir passé près d’un an à Paris, aimé et estimé de tous nos amis communs. Avant que de rentrer dans le séjour de la superstition autrichienne et espagnole, il a désiré d’en voir le fléau qui n’est pas fait pour faire peur à mon barnabite. Il a voulu voir mieux encore, l’ornement et la gloire de la littérature française ou plutôt européenne ; car un homme tel que vous n’appartient pas au pays des Welches où il est persécuté, tandis qu’on l’admire ailleurs. Le père Frisi a pour compagnon de voyage un jeune seigneur milanais de beaucoup d’esprit, que je vous recommande ainsi que lui. Je me flatte, mon cher philosophe, que vous voudrez bien les recevoir l’un et l’autre comme deux personnes de beaucoup de mérite, et pour lesquels j’ai beaucoup d’amitié et d’estime. Adieu, mon cher maître ; je vous embrasse de tout mon cœur. Si vous avez besoin d’indulgences, mes deux voyageurs pourront vous en ménager ; car ils ont quelque crédit à la cour du S. Père qui, par parenthèse, pourrait bientôt faire banqueroute ; ainsi ceux qui veulent des absolutions doivent se dépêcher. Iterum vale et me ama.