Correspondance (d’Alembert)/Correspondance avec Voltaire/013

Œuvres complètes de D’AlembertBelinTome V (p. 61).


Paris, 30 juillet 1758.


Cette lettre vous sera rendue, mon cher et très illustre confrère, par M. l’abbé Morellet, qui, quoique théologien et presque docteur, fait le voyage de Lyon à Genève tout exprès pour vous voir, et pour aller de là s’en vanter à Rome où il compte se rendre pour le conclave, qui probablement ne tardera pas à se tenir. Je suis seulement fâché qu’il n’ait pas à vous demander des lettres de recommandation pour votre ami Benoît XIV. Vous serez moins étonné de l’empressement qu’un théologien a de vous voir, quand vous saurez que ce théologien est celui de l’Encyclopédie, mais non pas l’auteur de l’article Enfer qui vous a tant scandalisé. M. l’abbé Morellet est une nouvelle et excellente acquisition que nous avons faite ; il est le quatrième théologien auquel nous avons eu recours depuis le commencement de l’Encyclopédie. Le premier a été excommunié, le second expatrié, et le troisième est mort. Nous ne saurions en élever un ; Dieu veuille que cela ne porte point de préjudice à notre nouveau collègue ! J’ose vous assurer que vous en serez fort content. Vous le trouverez aussi tolérant et probablement beaucoup plus aimable que votre prêtre de Lausanne ; et je crois que vos ministres de Genève, en le voyant, prendront assez bonne opinion de la Sorbonne depuis que l’Encyclopédie se l’est associée. Je me flatte que, par amitié pour moi, et par l’estime que vous prendrez bientôt pour lui, vous voudrez bien lui procurer, dans le pays où vous êtes, tous les agréments qui dépendront de vous. Adieu, mon cher confrère ; je vous embrasse de tout mon cœur, et j’espère que vous voudrez bien présenter notre théologien à madame Denis. Celui-là lui permettrait bien de jouer la comédie à Genève : il serait même homme à y prendre un rôle.