Correspondance (d’Alembert)/Correspondance avec Voltaire/012

Œuvres complètes de D’AlembertBelinTome V (p. 60-61).


Paris, 25 février 1758.


Diderot doit vous avoir répondu, mon cher maître. Je ne sais ce qu’il a fait ni ce qu’il fera de vos lettres. À l’égard de vos articles ils sont tous entre mes mains, n’en sont pas sortis, et, comme je vous l’ai mandé, n’en sortiront que par votre ordre exprès. Si vous persistez à vouloir qu’on vous les renvoie, j’en ferai un paquet que je remettrai à M. d’Argental. J’y suis d’autant plus disposé que je persiste dans la résolution de ne plus travailler à l’Encyclopédie. Au reste, Diderot ne m’avait rien dit de votre lettre, et je n’ai su que par vous que vous redemandiez vos papiers. Encore une fois, soyez sûr que vous les aurez au premier mot que vous direz ; mais soyez sûr en même temps qu’ils ne courent aucun risque d’être jamais remis à d’autres qu’à vous.

Il est vrai que j’ai fort lieu de me plaindre de Duclos. Dispensez-moi du détail. L’origine de notre brouillerie vient de ce qu’il a voulu faire mettre dans l’Encyclopédie des choses auxquelles je me suis opposé. Du reste, on a fait sur notre désunion beaucoup d’histoires qui ne sont pas vraies. On n’oublie rien pour semer la zizanie entre nous. Ne dit-on pas dans Paris que vous avez lu, approuvé et conseillé d’imprimer une des brochures qu’on a faites en dernier lieu contre nous ? j’ai soutenu que cela n’était pas vrai, et je le soutiendrai contre tous.

M. de Cubières vient de m’envoyer la profession de foi de Genève. Comme il serait facile d’embarrasser ces gens-là avec quatre lignes de réponse ! mais je veux bien me taire, pourvu que les choses en restent là, et que cette profession de foi ne soit pas un nouveau prétexte d’injures.

Je ne sais ce que c’est que le prétendu voyage de Jean-Jacques en Hollande. Il est toujours à Montmorency, haïssant, comme de raison, la nature humaine.

Adieu, mon cher et grand philosophe ; je suis aussi dégoûté de la France que de l’Encyclopédie. Je trouve bien heureux ceux qui sont à Genève, surtout quand ils ne sont pas obligés de dire que les ministres croient la divinité de Jésus-Christ et les peines éternelles, Vale.