VI. Au P. Castel
Correspondance générale, Texte établi par J. Assézat et M. TourneuxGarnierXIX (p. 426-427).


VI

AU MÊME.
2 juillet 1751.
Monsieur,

Je ne connais rien de si fin et de si délié et qui marque tant de goût et tant de précision que vos observations ; vous avez raison partout. Les deux Ajax sont mal dessinés[1], mais c’est leur faute et non la mienne. Quant à la nuit de Vernet, je conviens que, tout admirable qu’elle soit dans son tableau, elle n’avait pas la majesté ni le pathétique de la nature, ce qui signifie tout au plus que mon exemple est mal choisi, mais ce qui n’empêche pas mon principe d’être vrai. Il est certain, je crois, que toutes les fois que le plaisir réfléchi se joindra au plaisir de la sensation, je dois être plus vivement affecté que si je n’éprouvais que l’un ou l’autre. Je viens de recevoir de bien loin une autre lettre sur la même matière, et l’on me propose à cette occasion cinq ou six questions bien délicates à discuter ; mais comment faire au milieu des énormes occupations dont je suis accablé ? Si cependant je pouvais dérober un moment à l’Encyclopédie, je ne dis pas qu’il ne m’échappât une troisième lettre qui, grâce à vous, monsieur, et à votre esprit (car c’est le caractère de ceux qui en ont vraiment d’en donner aux autres) ne fût bien supérieure aux précédentes. En tout cas, je devrais à la part que vous auriez à cette lettre tout au moins l’attention de vous la communiquer manuscrite et je n’y manquerai pas.

Mais revenons aux deux autres ; je suis bien fâché que vous n’ayez pas été chargé de les faire connaître au public ; il y aurait gagné et je n’aurais pas perdu ; vous avez si bien saisi ce qu’il peut y avoir de bon dans ces petits écrits, que, tout en marquant ce qu’il y a de faible et de mauvais, il se fût fait dans votre examen une moyenne de critique et d’éloge dont j’aurais été bien content ; car j’aime surtout la vérité et la vertu, et quand ces deux qualités se réunissent dans un même homme, il va dans mon esprit de pair avec les dieux. Jugez donc, monsieur, des sentiments de dévouement et de respect que je dois avoir pour vous. Pardonnez-moi ce laconisme, mais d’ici à trois ans et demi, si je goûte quelque plaisir, ce ne sera guère qu’à la dérobée. J’ai l’honneur d’être, etc.



  1. Dans la Lettre sur les sourds et muets. Voir ces deux figures tome I pages 422 et 423. Leur se rapporte sans doute aux dessinateurs.