Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1 La Veuve Acte III
ACTE III.
Scène première.
Ce n’est pas que j’excuse ou la sœur, ou le frère,
Dont l’infidélité fait naître ta colère ;
Mais, à ne point mentir, ton dessein à l’abord
N’a gagné mon esprit qu’avec un peu d’effort.
Lorsque tu m’as parlé d’enlever sa maîtresse,
L’honneur a quelque temps combattu ma promesse :
Ce mot d’enlèvement me faisoit de l’horreur ;
Mes sens, embarrassés dans cette vaine erreur,
N’avoient plus la raison de leur intelligence.
En plaignant ton malheur, je blâmois ta vengeance,
Et l’ombre d’un forfait, amusant ma pitié,
Retardoit les effets dus à notre amitié[1].
Pardonne un vain scrupule à mon âme inquiète ;
Prends mon bras pour second, mon château pour retraite.
Le déloyal Philiste, en te volant ton bien,
N’a que trop mérité qu’on le prive du sien :
Après son action la tienne est légitime ;
Et l’on venge sans honte un crime par un crime[2].
Tu vois comme il me trompe, et me promet sa sœur
Pour en faire sous main Florange possesseur[3].
Ah ciel ! fut-il jamais un si noir artifice ?
Il lui fait recevoir mes offres de service ;
Cette belle m’accepte, et fier de son aveu[4],
Je me vante partout du bonheur de mon feu.
Cependant il me l’ôte, et par cette pratique,
Plus mon amour est su, plus ma honte est publique.
Il t’enlève un objet que je t’avois quitté.
Ta Doris fut toujours la reine de mon âme ;
J’ai toujours eu pour elle une secrète flamme,
Sans jamais témoigner que j’en étois épris,
Tant que tes feux ont pu te promettre ce prix ;
Mais je te l’ai quittée, et non pas à Florange.
Quand je t’aurai vengé, contre lui je me venge.
Et je lui fais savoir que jusqu’à mon trépas[5],
Tout autre qu’Alcidon ne l’emportera pas.
Pour moi donc à ce point ta contrainte est venue !
Que je te veux de mal[6] de cette retenue !
Est-ce ainsi qu’entre amis on vit à cœur ouvert ?
Mon feu, qui t’offensoit, est demeuré couvert ;
Et si cette beauté malgré moi l’a fait naître,
J’ai su pour ton respect l’empêcher de paroître.
Hélas ! tu m’as perdu, me voulant obliger ;
Notre vieille amitié m’en eût fait dégager[7].
Je souffre maintenant la honte de sa perte,
Et j’aurois eu l’honneur de te l’avoir offerte,
De te l’avoir cédée, et réduit mes désirs
Au glorieux dessein d’avancer tes plaisirs.
Faites, Dieux tout-puissants, que Philiste se change[8],
Et l’inspirant bientôt de rompre avec Florange,
Donnez-moi le moyen de montrer qu’à mon tour
Je sais pour un ami contraindre mon amour[9].
Tes souhaits arrivés, nous t’en verrions dédire ;
Doris sur ton esprit reprendroit son empire :
Nous donnons aisément ce qui n’est plus à nous.
Si j’y manquois, grands Dieux ! je vous conjure tous
D’armer contre Alcidon vos dextres vengeresses.
Un ami tel que toi m’est plus que cent maîtresses ;
Il n’y va pas de tant ; résolvons seulement
Du jour et des moyens de cet enlèvement.
Mon secret n’a besoin que de ton assistance.
[10] :
La beauté dont mon traître adore les attraits[11]
Chaque soir au jardin va prendre un peu de frais ;
J’en ai su de lui-même ouvrir la fausse porte ;
Étant seule, et de nuit, le moindre effort l’emporte.
Allons-y dès ce soir : le plus tôt vaut le mieux ;
Et surtout déguisés, dérobons à ses yeux,
Et de nous, et du coup, l’entière connoissance.
Si Clarice une fois est en notre puissance,
Crois que c’est un bon gage à moyenner l’accord,
Et rendre, en le faisant, ton parti le plus fort[12].
Mais pour la sûreté d’une telle surprise[13],
Aussitôt que chez moi nous pourrons l’avoir mise,
Retournons sur nos pas, et soudain effaçons
Ce que pourroit l’absence engendrer de soupçons.
Et déjà je prépare une froide impudence
À m’informer demain, avec étonnement,
De l’heure et de l’auteur de cet enlèvement.
Adieu ; j’y vais mettre ordre.
Je n’ai goutte de sang que pour toi je n’épanche.
Scène II.
Bons Dieux ! que d’innocence et de simplicité !
Ou pour la mieux nommer, que de stupidité.
Dont le manque de sens se cache et se déguise
Sous le front spécieux d’une sotte franchise !
Que Célidan est bon ! que j’aime sa candeur !
Et que son peu d’adresse oblige mon ardeur !
Oh ! qu’il n’est pas de ceux dont l’esprit à la mode
À l’humeur d’un ami jamais ne s’accommode,
Et qui nous font souvent cent protestations,
Et contre les effets ont mille inventions !
Lui, quand il a promis, il meurt qu’il n’effectue,
Et l’attente déjà de me servir le tue.
J’admire cependant par quel secret ressort
Sa fortune et la mienne ont cela de rapport,
Que celle qu’un ami nomme ou tient sa maîtresse
Est l’objet qui tous deux au fond du cœur nous blesse,
Et qu’ayant comme moi caché sa passion,
Nous n’avons différé que de l’intention.
Puisqu’il met pour autrui son bonheur en arrière[15],
Et pour moi…
Scène III.
Je t’y prends, rêveur.
C’est d’ordinaire ainsi que les traîtres en font.
Je te vois accablé d’un chagrin si profond,
Que j’excuse aisément ta réponse un peu crue.
Mais que fais-tu si triste au milieu d’une rue ?
Quelque penser fâcheux te servoit d’entretien ?
Je rêvois que le monde en l’âme ne vaut rien,
Du moins pour la plupart ; que le siècle où nous sommes[16]
À bien dissimuler met la vertu des hommes ;
Qu’à peine quatre mots se peuvent échapper[17]
Sans quelque double sens afin de nous tromper ;
Et que souvent de bouche un dessein se propose,
Cependant que l’esprit songe à toute autre chose.
Et cela t’affligeoit ? Laissons courir le temps,
Et malgré ses abus, vivons toujours contents[18].
Le monde est un chaos, et son désordre excède
Tout ce qu’on y voudroit apporter de remède.
N’ayons l’œil, cher ami, que sur nos actions ;
Aussi bien, s’offenser de ses corruptions,
À des gens comme nous ce n’est qu’une folie.
Mais pour te retirer de ta mélancolie[19],
Je te veux faire part de mes contentements.
Si l’on peut en amour s’assurer aux serments,
Dans trois jours au plus tard, par un bonheur étrange,
Clarice est à Philiste.
Et Doris, à Florange.
[20] ;
J’aurai perdu la vie avant cpie cela soit.
Voilà faire le fin de fort mauvaise grâce :
Philiste, vois-tu bien, je sais ce qui se passe.
Ma mère en a reçu, de vrai, quelque propos[21],
Et voulut hier au soir m’en toucher quelques mots.
Les femmes de son âge ont ce mal ordinaire
De régler sur les biens une pareille affaire[22] :
Un si honteux motif leur fait tout décider,
Et l’or qui les aveugle a droit de les guider :
Mais comme son éclat n’éblouit point mon âme[23],
Que je vois d’un autre œil ton mérite et ta flamme,
Je lui fis bien savoir que mon consentement
Ne dépendroit jamais de son aveuglement,
Et que jusqu’au tombeau, quant à cet hyménée,
Je maintiendrois la foi que je t’avois donnée.
Ma sœur accortement feignoit de l’écouter ;
Non pas que son amour n’osât lui résister.
Mais elle vouloit bien qu’un peu de jalousie[24]
Sur quelque bruit léger piquât ta fantaisie :
Ce petit aiguillon quelquefois, en passant,
Réveille puissamment un amour languissant.
Fais à qui tu voudras ce conte ridicule.
Soit que ta sœur l’accepte, ou qu’elle dissimule,
Le peu que j’y perdrai ne vaut pas m’en fâcher[25].
Rien de mes sentiments ne sauroit approcher
Comme alors qu’au théâtre on nous fait voir Mélite,
Le discours de Cloris, quand Philandre la quitte[26] :
Ce qu’elle dit de lui, je le dis de ta sœur,
Et je la veux traiter avec même douceur.
Pourquoi m’aigrir contre elle ? En cet indigne change,
Le beau choix qu’elle fait la punit et me venge[27] ;
Et ce sexe imparfait, de soi-même ennemi[28].
Ne posséda jamais la raison qu’à demi.
J’aurois tort de vouloir qu’elle en eût davantage ;
Sa foiblesse la force à devenir volage.
Je n’ai que pitié d’elle en ce manque de foi ;
Et mon courroux entier se réserve pour toi,
Toi qui trahis ma flamme après l’avoir fait naître,
Toi qui ne m’es ami qu’afin d’être plus traître.
Et que tes lâchetés tirent de leur excès[29],
Par ce damnable appas, un facile succès.
Déloyal ! ainsi donc de ta vaine promesse
Je reçois mille affronts au lieu d’une maîtresse ;
Et ton perfide cœur, masqué jusqu’à ce jour,
Pour assouvir ta haine alluma mon amour !
Ces soupçons dissipés par des effets contraires.
Nous renouerons bientôt une amitié de frères.
Puisse dessus ma tête éclater à tes yeux
Ce qu’a de plus mortel la colère des cieux.
Si jamais ton rival a ma sœur sans ma vie !
À cause de son bien ma mère en meurt d’envie [30] ;
Mais malgré…
Ces protestations ne méblouissent plus ;
Et ma simplicité, lasse d’être dupée,
N’admet plus de raisons qu’au bout de mon épée.
Étrange impression d’une jalouse erreur,
Dont ton esprit atteint ne suit que sa fureur !
Eh bien ! tu veux ma vie, et je te l’abandonne ;
Ce courroux insensé qui dans ton cœur bouillonne,
Contente-le par là, pousse, mais n’attends pas
Que par le tien je veuille éviter mon trépas.
Trop heureux que mon sang puisse te satisfaire,
Je le veux tout donner au seul bien de te plaire.
Toujours à ces défis j’ai couru sans effroi[31] ;
Mais je n’ai point d’épée à tirer contre toi.
C’est presser un peu trop qu’aller jusqu’à l’outrage.
On n’a point encor vu que ce manque de cœur
M’ait rendu le dernier où vont les gens d’honneur.
Je te veux bien ôter tout sujet de colère ;
Et quoi que de ma sœur ait résolu ma mère,
Dût mon peu de respect irriter tous les Dieux,
J’affronterai Géron et Florange à ses yeux.
Mais après les efforts de cette déférence[34],
Si tu gardes encor la même violence,
Peut-être saurons-nous apaiser autrement
Les obstinations de ton emportement.
Je crains son amitié plus que cette menace :
Sans doute il va chasser Florange de ma place.
Mon prétexte est perdu, s’il ne quitte ces soins[35] :
Dieux ! qu’il m’obligeroit de m’aimer un peu moins !
Scène IV.
Je meure, mon enfant, si tu n’es admirable !
Et ta dextérité me semble incomparable :
Tu mérites de vivre après un si beau tour[36].
Vous n’eussiez pu m’entendre, et vous garder de rire[37].
Je me tuois moi-même à tous coups de lui dire
Que mon âme pour lui n’a que de la froideur,
Et que je lui ressemble en ce que notre ardeur
Ne s’explique à tous deux point du tout par la bouche[38] ;
Enfin que je le quitte.
S’il ne peut rien comprendre en ces naïvetés.
Peut-être y mêlois-tu quelques obscurités ?
Pas une ; en mots exprès je lui rendois son change[39],
Et n’ai couvert mon jeu qu’au regard de Florange[40].
De Florange ! et comment en osois-tu parler ?
Je ne me trouvois pas d’humeur à rien celer ;
Mais nous nous sûmes lors jeter sur l’équivoque.
Tu vaux trop. C’est ainsi qu’il faut, quand on se moque.
Que le moqué toujours sorte fort satisfait[41] ;
Ce n’est plus autrement qu’un plaisir imparfait,
Qui souvent malgré nous se termine en querelle.
Je lui prépare encore une ruse nouvelle[42]
Pour la première fois qu’il m’en viendra conter.
[43].
Mais pour en dire trop tu pourras tout gâterN’en ayez pas de peur.
Assez souvent l’issue…
Madame, je vous laisse.
Que l’on ne traite point cette affaire à tes yeux.
Scène V.
Mais, sans mentir, mon fils me donne un peu de peine.
Et s’emporte si fort en faveur d’un ami,
Que je n’ai su gagner son esprit qu’à demi.
Encore une remise ; et que tandis Florange
Ne craigne aucunement qu’on lui donne le change[44] ;
Moi-même j’ai tant fait que ma fille aujourd’hui
(Le croirois-tu, Géron ?) a de l’amour pour lui.
Florange, impatient de n’avoir pas encore
L’entier et libre accès vers l’objet qu’il adore,
Ne pourra consentir à ce retardement.
Le tout en ira mieux pour son contentement.
Quel plaisir aura-t-il auprès de sa maîtresse,
Si mon fils ne l’y voit que d’un œil de rudesse,
Si sa mauvaise humeur ne daigne lui parler[45],
Ou ne lui parle enfin que pour le quereller ?
Madame, il ne faut point tant de discours frivoles ;
Je ne fus jamais homme à porter des paroles.
Depuis que j’ai connu qu’on ne les peut tenir ;
Si monsieur votre fils…
Je l’aperçois venir.
Tant mieux. Nous allons voir s’il dédira sa mère.
Sauve-toi ; ses regards ne sont que de colère.
Scène VI.
Te voilà donc ici, peste du bien public,
Qui réduis les amours en un sale trafic !
Va pratiquer ailleurs tes commerces infâmes.
Ce n’est pas où je suis que l’on surprend des femmes.
Vous me prenez à tort pour quelque suborneur[47] ?
Je ne sortis jamais des termes de l’honneur ;
Et Madame elle-même a choisi cette voie[48].
Tiens, porte ce revers à celui qui t’envoie ;
Ceux-ci seront pour toi.
Scène VII.
Mon fils, qu’avez-vous fait ?
J’ai mis, grâces aux Dieux, ma promesse en effet.
Ainsi vous m’empêchez d’exécuter la mienne.
Je ne puis empêcher que la vôtre ne tienne ;
Mais si jamais je trouve ici ce courratier[49],
Je lui saurai, Madame, apprendre son métier.
Il vient sous mon aveu.
C’est un fou s’il me voit sans regagner la porte[50] :
Autrement, il saura ce que pèsent mes coups.
Est-ce là le respect que j’attendois de vous ?
Pourvu que mon honneur ne souffre aucune tache :
Je suis prêt d’expier avec mille tourments
Ce que je mets d’obstacle à vos contentements.
Soufriez que la raison règle votre courage ;
Considèrez, mon fils, quel heur, quel avantage,
L’affaire qui se traite apporte à votre sœur.
Le bien est en ce siècle une grande douceur :
Étant riche, on est tout[51] ; ajoutez qu’elle-même
N’aime point Alcidon, et ne croit pas qu’il l’aime.
Quoi ! voulez-vous forcer son inclination ?
Vous la forcez vous-même à cette élection :
Je suis de ses amours le témoin oculaire.
Elle se contraignoit seulement pour vous plaire.
Elle doit donc encor se contraindre pour moi.
Et pourquoi lui prescrire une si dure loi ?
Puisqu’elle m’a trompé, qu’elle en porte la peine.
Voulez-vous l’attacher à l’objet de sa haine ?
Je veux tenir parole à mes meilleurs amis,
Et qu’elle tienne aussi ce qu’elle m’a promis.
Mais elle ne vous doit aucune obéissance.
Sa promesse me donne une entière puissance.
Sa promesse, sans moi, ne la peut obliger.
Que deviendra ma foi, qu’elle a fait engager ?
Il la faut révoquer, comme elle sa promesse.
Lycas, cours chez Florange, et dis-lui de ma part[52]…
Quel violent esprit !
D’une place chez nous par surprise occupée,
Je ne le trouve point sans une bonne épée.
Attends un peu. Mon fils…
Marche, mais promptement.
Dieux ! que cet emporté me donne de tourment[54] !
Que je te plains, ma fille ! Hélas ! pour ta misère
Les destins ennemis t’ont fait naître ce frère.
Déplorable ! le ciel te veut favoriser
D’une bonne fortune, et tu n’en peux user.
Rejoignons toutes deux ce naturel sauvage,
Et tâchons par nos pleurs d’amollir son courage.
Scène VIII.
Chers confidents de mes désirs,
Beaux lieux, secrets témoins de mon inquiétude,
Ce n’est plus avec des soupirs
Que je viens abuser de voire solitude ;
Mes tourments sont passés,
Mes vœux sont exaucés,
La joie aux maux succède[56] :
Mon sort en ma faveur change sa dure loi,
Et pour dire en un mot le bien que je possède,
Mon Philiste est à moi.
En vain nos inégalités
M’avoient avantagée à mon désavantage.
L’amour confond nos qualités,
Et nous réduit tous deux sous un même esclavage.
L’aveugle outrecuidé
Se croiroit mal guidé
Par l’aveugle fortune ;
Et son aveuglement par miracle fait voir
Que quand il nous saisit, l’autre nous importune,
Et n’a plus de pouvoir.
Cher Philiste, à présent tes yeux,
Que j’entendois si bien sans les vouloir entendre,
Et tes propos mystérieux,
Par leurs rusés détours n’ont plus rien à m’apprendre.
Notre libre entretien
Ne dissimule rien ;
Et ces respects farouches
N’exerçant plus sur nous de secrètes rigueurs,
L’amour est maintenant le maître de nos bouches
Ainsi que de nos cœurs.
Qu’il fait bon avoir enduré !
Que le plaisir se goùte au sortir des supplices !
Et qu’après avoir tant duré,
La peine qui n’est plus augmente nos délices !
Qu’un si doux souvenir
M’apprête à l’avenir
D’amoureuses tendresses !
Que mes malheurs fînis auront de volupté !
Et que j’estimerai chèrement ces caresses
Qui m’auront tant coûté !
Mon heur me semble sans pareil[57] ;
Depuis qu’en liberté notre amour m’en assure[58],
Je ne crois pas que le soleil…
Scène IX.
Cocher, attends-nous là.
D’où provient ce murmure ?
Il est temps d’avancer ; baissons le tapabord[60] ;
Moins nous ferons de bruit, moins il faudra d’effort.
Aux voleurs ! au secours !
Quoi ! des voleurs, Madame ?
Oui, des voleurs, Nourrice.
et l’empêche de fuir[61].
Ah ! de frayeur je pâme.
Laisse-moi, misérable.
Madame ; vous viendrez.
[63].
Aux vo…Scène X.
Sortons de pâmoison, reprenons la parole ;
Il nous faut à grands cris jouer un autre rôle.
Ou je n’y connois rien, ou j’ai bien pris mon temps ;
Ils n’en seront pas tous également contents[65] ;
Et Philiste demain, cette nouvelle sue,
Sera de belle humeur, ou je suis fort déçue.
Mais par où vont nos gens ? Voyons, qu’en sûreté
Je fasse aller après par un autre côté.
À présent il est temps que ma voix s’évertue.
Aux armes ! aux voleurs ! on m’égorge, on me tue,
On enlève Madame ! amis, secourez-nous ;
À la force ! aux brigands ! au meurtre ! accourez tous,
Doraste, Polymas, Listor.
Qu’as-tu, Nourrice ?
Des voleurs…
Qu’ont-ils fait ?
Ils ont ravi Clarice.
Comment ? ravi Clarice ?
Bons Dieux ! que j’ai reçu de coups en un moment !
Suivons-les ; mais dis-nous la route qu’ils ont prise.
Oh, qu’ils en vont abattre ! ils sont morts, c’en est fait ;
Et leur sang, autant vaut, a lavé leur forfait.
Pourvu que le bonheur à leurs souhaits réponde,
Ils les rencontreront s’ils font le tour du monde.
Quant à nous cependant subornons quelques pleurs[67]
Qui servent de témoins à nos fausses douleurs.
- ↑ Var. [Retardoit les effets dus à notre amitié.]
alc. Voilà grossièrement chercher à te dédire :
Avec leurs trahisons ta lâcheté conspire (a),
Puisque tu sais leur crime et consens leur bonheur.
Mais c’est trop désormais survivre à mon honneur ;
C’est trop porter en vain par leur perfide trame
La rougeur sur le front et la fureur en l’âme :
Va, va, n’empêche plus mon désespoir d’agir ;
Souffre qu’après mon front ce flanc puisse en rougir,
Et qu’un bras impuissant à venger cet outrage
Reporte dans mon cœur les effets de ma rage.
cél. Bien loin de révoquer ce que je t’ai promis,
Je t’offre avec mon bras celui de cent amis.
Prends, puisque tu le veux, ma maison pour retraite ;
Dispose absolument d’une amitié parfaite :
Je vois trop que Philiste en te volant ton bien. (1634-57)
(a). Avec leurs trahisons ton amitié conspire. (1644-57) - ↑ Var. On venge honnêtement un crime par un crime. (1634-57)
- ↑ Var. Dont il fait sourdement Florange possesseur. (1634-57)
- ↑ Var. Cette belle m’accepte, et dessous cet aveu. (1634-57)
- ↑ Var. Et je lui fais savoir que devant mon trépas. (1634-57)
- ↑ L’édition de 1682 a seule du mal pour de mal.
- ↑ Var. Vu que notre amitié m’en eût fait dégager. (1634-57)
- ↑ Var. Mais faites que l’humeur de Philiste se change,
Grands Dieux, et l’inspirant de rompre avec Florange. (1634-57) - ↑ Var. Pour un ami je sais étouffer mon amour. (1634-57)
- ↑ Var. Vu que je ne puis craindre aucune résistance. (1634-57)
- ↑ Var. La belle dont mon traître adore les attraits. (1634-60)
- ↑ Var. Et rendre, en ce faisant, ton parti le plus fort. (1634)
- ↑ Var. Mais pour la sûreté d’une telle entreprise. (1634-68)
- ↑ Var. alcidon, seul. (1634)
- ↑ Var. Vu qu’il met pour autrui son honheur en arrière. (1634-57)
- ↑ Var. Au moins pour la plupart ; que le siècle où nous sommes. (1634-57)
- ↑ Var. Qu’à grand’peine deux mots se peuvent échapper. (1634-57)
- ↑ Var. Et malgré les abus vivons toujours contents. (1634)
- ↑ Var. Or pour te retirer de la mélancolie. (1634 et 52-57)
Var Or pour te retirer de ta mélancolie (1644 et 48)
Var. Mais pour te retirer de la mélancolie. (1660 et 63) - ↑ Var. Quelque soupçon frivole en ce cas te déçoit. (1634)
- ↑ Var. Ma mère en a reçu, de vrai, quelques propos. (1634-57)
- ↑ Var. De ne régler qu’aux biens une pareille affaire. (1634)
- ↑ Var. Moi dont ce faux éclat n’éblouit jamais l’âme,
Qui connois ton mérite autant comme ta flamme. (1634-57) - ↑ Var. Mais fine, elle vouloit qu’un ver de jalousie. (1634-57)
Var. Mais elle vouloit bien qu’un ver de jalousie. (1660) - ↑ Var. Le peu que j’y perdrai ne vaut pas s’en fâcher. (1657)
- ↑ Melite, acte III, sc. v, p. 202. Les poètes dramatiques du dix-septième siècle aimaient à placer ainsi dans la bouche de leurs personnages des allusions à leurs ouvrages antérieurs. Voyez la note sur le vers 702 de la Place Royale.
Molière dit dans le Misanthrope (acte I, sc. i) :
Je ris des noirs accès où je vous envisage,
Et crois voir en nous deux, sous même soin nourris,
Les deux frères que peint l’École des maris. - ↑ Var. Le choix de ce lourdaud la punit et me venge. (1634-57)
- ↑ Var. Et ce sexe imparfait, de son mieux ennemi. (1634-60)
- ↑ Var. Et que tes lâchetés tirent de leurs excès. (1634-57)
- ↑ Var. À cause de ses biens ma mère en meurt d’envie. (1634-60)
- ↑ Var. Toujours pour les duels l’on m’a vu sans effroi.
Mais je n’ai point de lame a trancher contre toi. (1634)
Var. Toujours pour les duels on m’a vu sans effroi. (1644-57) - ↑ Dans l’édition de 1682, on lit masque, au lieu de manque ; mais le sens prouve, ainsi que le texte des impressions antérieures, que c’est une faute
d’impression. - ↑ Var. [Voilà bien déguiser un manque de courage.]
phil. Si jamais quelque part ton intérêt m’engage,
Tu pourras voir alors si je suis un moqueur.
Et si pour te servir j’aurai manqué de cœur ;
Mais pour te mieux ôter tout sujet de colère,
Sitôt que j’aurai pu me rendre chez ma mère,
Dût mon peu de respect offenser tous les Dieux. (1634-57) - ↑ Var. Je souffre jusque-là ton humeur violente ;
Mais, ces devoirs rendus, si rien ne te contente,
Sache alors que voici de quoi nous apaisons
Quiconque ne veut pas se payer de raisons. (1634-57) - ↑ Var. Mon prétexte est perdu, s’il ne quitte ses soins. (1664 et 68)
- ↑ Var. Tu mérites de vivre après un si bon tour. (1634-68)
- ↑ Var. Vous n’eussiez pu m’entendre, et vous tenir de rire. (1634-57)
- ↑ Var. Ne s’explique à tous deux nullement par la bouche. (1634-57)
- ↑ Rendre le change à quelqu’un, lui donner son change, c’est, suivant Furetière, lui répliquer fortement, lui rendre la pareille. Voyez le Lexique.
- ↑ Au regard de Florange, en ce qui regarde Florange, dans ce que je lui ai dit de Florange.
- ↑ Var. Que le moqué toujours reste fort satisfait, (1634)
- ↑ Var. Je lui présente encore une ruse nouvelle. (1634)
- ↑ Var. Mais pour en dire trop tu pourrois tout gâter. (1634-60)
- ↑ Donner, non pas comme plus haut son change, mais le change à quelqu’un, c’est le tromper ; cette expression est empruntée au vocabulaire de la vénerie.
- ↑ Var. Si sa mauvaise humeur refuse à lui parler. (1634-57)
- ↑ Le nom de lycas manque en tête de cette scène dans l’édition de 1634.
- ↑ Var. Monsieur, vous m’offensez : loin d’être un suborneur. (1634-57)
- ↑ Var. Madame a trouvé bon de prendre cette voie. (1634-57)
- ↑ Courtier. Voyez le Lexique.
- ↑ Var. C’est un fou, me voyant, s’il ne gagne la porte. (1634-57)
- ↑ Quiconque est riche est tout.
(Boileau, Satire VIII.) - ↑ Var. N’en parlons plus. Lycas ! lyc. Monsieur ? phil. Sus, de ma part
Va Florange avertir que s’il ne se départ. (1634) - ↑ Cette indication manque dans l’édition de 1663.
- ↑ Var. Dieux ! que cet obstiné me donne de tourment ! (1634-57)
- ↑ Dans l’édition de 1634, on lit en titre, au-dessous du nom de clarice : stances.
- ↑ Var. L’aise à mes maux succède. (1634-68)
- ↑ Var. Mon heur me semble nompareil. (1634)
- ↑ Var. Depuis que notre amour déclaré m’en assure. (1634-57)
- ↑ Var. célidan, derrière le théâtre. (1634-60)
- ↑ Bonnet à l’anglaise, qui, lorsqu’on veut, se rabat sur les épaules. On peut voir la représentation de cette sorte de coiffure dans une gravure faite pour l’édition de 1660 et qui accompagne aussi d’ordinaire celle de 1664.
- ↑ Pour ce jeu de scène, la leçon de 1634 est, en tenant compte de la correction contenue dans l’errata : la nourrice, se jetant a ses genoux. — Dans les éditions de 1644-60 : embrassant ses genoux.
- ↑ Var. clarice, à qui Celidan met la main sur la bouche. (1634-60)
- ↑ Ce mot interrompu nous semble d’un effet bizarre, mais il serait facile de trouver dans les œuvres dramatiques des prédécesseurs de Corneille plus d’un exemple de ce genre. Le plus connu, et le plus souvent cité peut-être, est celui qu’on rencontre au Ve acte du Daire (Darius) de Jacques de la Taille (voyez sur ce poëte l’Histoire du théâtre françois, tome III, p. 337 et suivantes) :
Ma femme et mes enfants aye en recommanda…
Il ne put achever, car la mort l’en garda. - ↑ Var. célidan, derrière le théâtre. (1634-60) — Il dit ces deux mots derrière le théâtre. (1663, en marge.)
- ↑ Var. Tous n’en resteront pas également contents. (1634)
- ↑ Cette indication ne se trouve que dans les éditions de 1663-82.
- ↑ C’est-à-dire versons quelques larmes feintes. Voyez plus haut, sur un autre emploi de suborner, p. 184, note 1.