La Cithare (Gille)/Coré
CORÉ
Belle comme une fleur, comme un oiseau légère,
À travers le gazon doré
Courant, puis s’arrêtant, la frivole Coré
Cueille le phlox et la fougère.
Piqué d’or, le feuillage agité des bosquets
Dans le ciel palpite autour d’elle,
Et fait partout jaillir, avec des frissons d’aile,
Des étincelles en bouquets,
Tandis que sur le sol, dans le circuit de l’ombre,
Des disques souples de soleil,
Sous le frêne pliant et l’arbousier vermeil
Dansent parmi l’herbe plus sombre.
C’est un délicieux et paisible vallon
Rempli de sources cristallines,
Un jardin embaumé, fermé par les collines
D’une ceinture de gazon.
Ivre du clair printemps, Coré la vagabonde,
Blanche et rose comme le jour,
En jouant, en chantant, s’attarde en ce séjour
Où le pommier en fruits abonde.
Elle baigne ses pieds frileux dans le ruisseau,
Puis, attentive, se recueille :
Elle écoute un oiseau parmi le chèvrefeuille
Qui ploie autour d’elle en berceau,
Cependant qu’alentour les Nymphes, ses compagnes,
Dont luisent les regards moqueurs,
Entremêlent leurs jeux, ou, dispersant leurs chœurs,
Se poursuivent dans les campagnes.
Alors, les yeux heureux de la clarté du ciel,
Sur la rive elle s’aventure ;
Tout murmure et frissonne, et toute la nature
Chante l’amour universel.
Là-bas, bondit un faon, ici, broute une chèvre,
Plus loin, saute un merle siffleur ;
Un papillon d’azur frémit sur une fleur
Plus adorable qu’une lèvre.
Coré s’enfuit, revient et folâtre au hasard :
Elle pourchasse une colombe,
Suit une biche, ou sous la roche qui surplombe
Surprend un paresseux lézard ;
Ensuite, ayant orné son front de clématite,
Cueille, en se haussant, quelque fruit ;
Tantôt, dans un buisson, la mauve la séduit,
Tantôt le nard la sollicite.
Soudain elle s’arrête : elle aperçoit, berçant
Au soleil amoureux son calice,
Au bord de l’eau qui rit un merveilleux narcisse,
Et d’un éclat éblouissant.
Il dresse avec orgueil sa corolle odorante,
Et rien ne l’égale en beauté,
Ni l’épi d’aconit, ni le lis argenté,
Ni la somptueuse amarante.
La jeune fille accourt, et, folle de désir,
Sourit, se penche, écarte l’herbe,
Et, voulant ajouter ce narcisse à sa gerbe,
Étend la main pour le saisir.
Mais au même moment un nuage la couvre,
Le sol, avec un sourd fracas,
Oscille, et sous ses pieds roses et délicats
Un abîme horrible s’entr’ouvre.
Elle n’a pu s’enfuir, et tremble et crie encor
Que déjà, plein de jalousie,
Le sombre Hadès, le roi des enfers, l’a saisie
Et l’emporte sur son char d’or.