Contes populaires de la Gascogne/La Mer qui chante, la Pomme qui danse, et l’Oisillon qui dit tout
II
la mer qui chante, la pomme qui danse,
et l’oisillon qui dit tout
e sais un conte : le conte de la Mer qui
chante, de la Pomme qui danse, et de l’Oisillon qui dit tout.
Il y avait, une fois, trois sœurs qui arrachaient du lin dans un champ.
— « Mes sœurs, dit la plus jeune, vous avez chacune votre pensée secrète. Je veux la connaître.
— Non, nous n’avons pas de pensée secrète.
— Je vous dis que vous en avez une. Je veux la connaître.
— Eh bien ! dit l’aînée, je voudrais épouser l’intendant du roi.
— Moi, dit la seconde, je voudrais épouser son piqueur.
— À présent, dirent les deux sœurs à la troisième, nous voulons connaître aussi ta pensée secrète.
— Moi, je voudrais épouser le roi lui-même. Au bout de neuf mois, je me charge de lui faire deux jumeaux, un garçon et une fille, qui auront des chaînes d’or entre peau et chair.
— Tu seras ma femme, dit le roi, qui était alors à la chasse, et qui écoutait les trois sœurs, caché derrière une haie. »
Le roi prit la jeune fille en croupe, et la porta dans son château, bâti au bord de la mer grande. Le lendemain, il l’épousa. Pendant huit mois, il demeura près d’elle, sans la quitter, ni jour, ni nuit. Au commencement du neuvième mois, le roi dit :
— « Femme, les autres rois, mes voisins, ont dit que le mariage m’avait rendu fainéant. Il faut que je m’en aille à la guerre, pour leur prouver qu’ils en ont menti comme des chiens. Ne pleure pas. Je te rapporterai une charretée d’or et d’argent. Soigne-toi bien. Ne te laisse manquer de rien. Surtout, quand tu auras fait les deux jumeaux, les deux jumeaux qui auront des chaînes d’or entre peau et chair, ne manque pas de m’envoyer un messager, pour m’annoncer la nouvelle.
— Roi, vous serez obéi. »
Le roi partit aussitôt pour la guerre. Un mois après, la reine fit deux jumeaux, un garçon et une fille, qui avaient des chaînes d’or entre peau et chair.
— « Belle-mère, dit la reine, il faut envoyer un messager au roi, pour lui annoncer la nouvelle. »
Mais la belle-mère, qui haïssait sa bru de tout son cœur, commanda au messager de dire au roi : « La reine a fait un chien et un chat. »
Le messager s’en alla trouver le roi et lui dit :
— « Bonjour, roi. La reine vous mande qu’elle a fait un chien et un chat. »
Alors, le roi répondit :
— « Chien et chat, — que tout soit gardé[1]. »
Le messager s’en revint porter à la mère du roi l’ordre qu’il avait reçu.
— « Messager, dit-elle, voilà cent pistoles. Va-t-en dire à la reine que l’ordre du roi est tel :
« Fille et garçon, — que tout soit noyé[2]. »
Le messager prit les cent pistoles, et obéit à la mère du roi. Alors, la reine se mit à pleurer toutes les larmes de ses yeux.
— « Pauvres enfants, dit-elle, on va donc vous jeter dans la mer grande. Bientôt, vous serez en paradis. Vous y prierez le Bon Dieu, pour votre père et pour votre mère. »
Alors, la pauvre femme baptisa les deux jumeaux, au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit. Elle leur donna la mamelle, encore une fois, les peigna avec un peigne d’or, les habilla d’une belle petite robe blanche, et les coucha dans le même berceau, en les recommandant au Bon Dieu et à la sainte Vierge Marie.
— « Allons, dit la mère du roi, voici le moment d’obéir au maître. Donne tes enfants à ce marinier, pour qu’il aille les noyer dans la mer grande. »
Le marinier prit le berceau, et s’en alla loin, bien loin, le jeter dans la mer grande. Sept jours après, le roi revint de la guerre, et dit :
— « Mère, je veux voir le chien et le chat que ma femme a faits.
— Ta femme n’a fait ni chien ni chat. Elle a fait deux jumeaux, un garçon et une fille, beaux comme le jour, et qui avaient des chaînes d’or entre peau et chair. Mais la gueuse a commandé, il y a sept jours, de les jeter dans la mer grande. »
Alors, le roi devint tout bleu de colère. Il manda sur-le-champ le bourreau et ses deux valets.
— « Bourreau, décapite ma femme. »
— « Bourreau, mon ami, dit la reine, prends ton coutelas le mieux affilé, et gagne vite ton argent. J’ai perdu l’amitié du roi. Mes deux pauvres petits jumeaux sont morts, noyés dans la mer grande. Maintenant, ils sont en paradis. Tout-à-l’heure, je les y retrouverai pour toujours.
— Ah ! tu veux mourir, dit le roi. Eh bien ! tu ne mourras pas. Pour toi, l’enfer va commencer sur la terre. Je veux être damné, sans rémission, si jamais femme a pâti comme je vais te faire souffrir. — Valets, je renie cette femme. Prenez-lui ses bagues et ses pendants d’oreille. Ôtez-lui sa belle robe, et donnez-lui un mauvais cotillon troué. J’entends que, dorénavant, elle vienne, sous ma table, se nourrir, avec mes chiens, des restes de mon dîner et de mon souper. »
Les valets obéirent, et la pauvre reine se soumit comme une sainte. Alors, la mère du roi fut bien contente, car elle haïssait sa bru de tout son cœur.
Pourtant, le Bon Dieu et la sainte Vierge Marie avaient pris pitié des deux pauvres petits jumeaux, que le marinier avait jetés dans la mer grande. Pendant trois jours et trois nuits, le berceau nagea, jusqu’à ce que la mer grande le poussât vers la terre, tout proche de la maisonnette d’un pêcheur. La femme du pêcheur emporta les deux pauvres petits jumeaux chez elle, et leur donna du lait de chèvre. Le soir, le pêcheur revint de son travail.
— « Mon homme, dit la pêcheuse, regarde ces deux pauvres enfants, qui ont des chaînes d’or entre peau et chair. Quelque méchant les avait jetés dans la mer grande. Mais leur berceau a nagé. Je t’en prie, mon homme, prends pitié de ces deux pauvres innocents. Laisse-moi les garder ici.
— Femme, comme tu voudras. »
Le pêcheur et la pêcheuse n’avaient pas d’enfants. Pendant sept ans, ils élevèrent, comme les leurs, les deux pauvres petits jumeaux, qui les appelaient toujours papa et maman. Mais un jour, le pêcheur leur dit :
— « Pauvres enfants, je ne suis pas votre père. Ma femme n’est pas votre mère. Quelque méchant vous avait jetés dans la mer grande. Mais le Bon Dieu et la sainte Vierge Marie ont pris pitié de vous, et votre berceau a nagé. Moi et ma femme, nous vous avons nourris. Si vous voulez, nous vous garderons toujours.
— Merci, pêcheur. Merci, pêcheuse. Nous avons assez mangé votre pain. Le Bon Dieu veuille que nous soyons un jour assez riches pour vous payer de vos peines. Adieu. Nous ne reviendrons jamais dans votre maisonnette. Nous partons, à la recherche de nos parents. »
Les deux pauvres petits jumeaux partirent aussitôt. Pendant trois jours, ils marchèrent le long de la mer grande, sans voir ni entendre d’autres créatures que les oiseaux du ciel, et les bêtes sauvages. Pour manger, ils n’avaient que les mûres des ronces, pour boire, que l’eau des ruisseaux. Quand le soleil se couchait, ils s’endormaient au pied d’un chêne.
Le matin du quatrième jour, la mer grande se mit à chanter.
— « Marchez, pauvres petits jumeaux, chantait la Mer grande. — Marchez toujours devant vous. Le temps est proche où vous retrouverez votre père et votre mère. — Marchez, pauvres petits jumeaux. Marchez toujours devant vous. »
Les pauvres petits jumeaux repartirent. Pendant trois jours, ils marchèrent le long de la mer grande, sans voir ni entendre d’autres créatures que les oiseaux du ciel et les bêtes sauvages. Pour manger, ils n’avaient que les mûres des ronces, pour boire, que l’eau des ruisseaux. Quand le soleil se couchait, ils s’endormaient au pied d’un chêne. Le matin du septième jour, ils aperçurent un pommier, où il y avait une pomme rouge comme un coquelicot.
— « Attends-moi là, sœur, dit le garçon. Je vais monter, et cueillir la pomme rouge comme un coquelicot.
— Ne monte pas, mon ami, dit un homme qui passait. Je vais travailler pour toi. »
L’homme monta sur le pommier, cueillit la pomme rouge comme un coquelicot, et la jeta au garçon.
— « Mon ami, garde bien cette pomme rouge comme un coquelicot, mon ami. C’est la Pomme qui danse. Avec elle, toi et ta sœur, vous connaîtrez la méchante femme qui a commandé de vous jeter dans la mer grande. »
En ce moment, un oisillon vint se poser sur la plus haute branche du pommier. L’homme attrapa l’oisillon, descendit à terre, et dit à la fille :
— « Mie, garde bien cet oisillon. C’est l’Oisillon qui dit tout. Avec lui, toi et ton frère, vous ferez traiter comme elle le mérite la méchante femme qui a commandé de vous jeter dans la mer grande. »
L’homme s’en alla on ne sait où. Le même jour, à midi, les deux pauvres petits jumeaux arrivèrent devant la porte du château de leur père, juste au moment du dîner.
— « Un morceau de pain, s’il vous plaît, pour l’amour de Dieu et de la sainte Vierge Marie. Pater noster…
— Valets, dit le roi, allez voir qui demande l’aumône, à la porte du château.
— Roi, ce sont deux pauvres enfants de sept ans, un garçon et une fille.
— Bon. Faites-les dîner à la cuisine, et ne les laissez manquer de rien. »
Les valets menèrent les pauvres petits jumeaux à la cuisine, où on ne les laissa manquer de rien. Une fois repus, les pauvres petits jumeaux dirent :
— « Nous voulons parler au roi. »
On les mena dans la salle, où le roi était encore attablé avec sa mère.
— « Que voulez-vous, pauvres enfants ?
— Roi, nous voulons vous remercier, avant de repartir à la recherche de nos parents. Le Bon Dieu vous paiera votre charité.
— Et de quel pays êtes-vous ?
— Roi, nous ne savons pas où nous sommes nés. On nous avait jetés dans la mer grande, couchés tous deux dans un berceau. La mer grande nous a poussés vers la terre. Pendant sept ans, un pêcheur et une pêcheuse nous ont nourris de leur pain.
— Voilà de braves gens. Et comment reconnaîtrez-vous vos parents ?
— Roi, nous n’avons aucun moyen de les reconnaître. Mais eux nous reconnaîtront, aux chaînes d’or que nous avons entre peau et chair.
— Vite, vite, montrez-moi ces chaînes d’or. »
Les deux pauvres petits jumeaux se déshabillérent, et montrèrent les chaînes d’or qu’ils avaient entre peau et chair.
— « Mes pauvres enfants. C’est moi qui suis votre père. »
Alors, la reine, qui était sous la table, avec les chiens, se mit à crier en pleurant :
— « Mes pauvres enfants ! Mes pauvres enfants ! »
Le roi lui allongea un grand coup de pied.
— « Carogne ! C’est toi qui les a fait jeter dans la mer grande. Tais-toi. Reste sous la table, comme une chienne que tu es.
— Roi, dirent les pauvres petits jumeaux, ne vous pressez pas de condamner notre mère. Ce matin, un homme nous a donné le moyen de connaître la méchante femme qui a commandé de nous jeter dans la mer grande.
— Eh bien ! faites votre preuve. »
Alors, le garçon tira de sa poche la Pomme qui danse, la pomme rouge comme un coquelicot. La Pomme se mit à danser, à danser, jusqu’à ce qu’elle vînt se poser sur la tête de la mère du roi. Cela fait, elle partit sans qu’on pût savoir où elle s’en était allée.
Alors, la petite fille tira l’Oisillon qui dit tout de son sein. L’Oisillon qui dit tout se mit à chanter :
— « Riou chiou chiou. — La reine a fait deux jumeaux, un garçon et une fille, qui ont des chaînes d’or entre peau et chair. — Riou chiou chiou. — La reine a mandé un messager au roi, pour lui porter la nouvelle. — Riou chiou chiou. — La mère du roi a dit au messager : « Tu diras au roi que la reine a fait un chien et un chat. » — Riou chiou chiou. — Le roi a répondu : « Chien et chat, — que tout soit gardé. » — Riou chiou chiou. — La mère du roi a donné cent pistoles au messager, pour dire de la part du roi : — « L’ordre du roi est tel : — Fille et garçon, — que tout soit noyé. »
Cela chanté, l’Oisillon qui dit tout s’envola, sans qu’on pût savoir où il s’en était allé.
Alors, le roi alla chercher la reine sous la table. Il lui demanda pardon, et commanda qu’on lui rendît sa belle robe, ses bagues et ses pendants d’oreilles. Après, il se tourna vers sa mère.
— « Mère, dimanche prochain, après vêpres, nous aurons un compte à régler ensemble. »
En effet, le roi commanda de tambouriner trois fois par jour, et jusqu’à la fin de la semaine, dans les villes et campagnes du pays :
— « Ran plan plan, ran plan plan, ran plan plan. Vous êtes tous avertis, de la part du roi, d’avoir à vous trouver, dimanche prochain, après vêpres, sur la grand’place de la principale ville du pays. Les femmes et les enfants demeureront seuls à la maison. Mais les hommes qui manqueront à l’appel, feront connaissance avec le fouet du bourreau[3]. »
Le dimanche venu, le peuple, à la sortie de vêpres, s’assembla sur la grand’place de la ville. Tout au beau milieu de la grand’place, le roi se tenait debout, le chapeau sur la tête, l’épée au côté. Il était si triste, si triste, que chacun prenait pitié de lui. Pourtant, il ne pleurait pas, parce qu’un homme ne doit pas pleurer, surtout quand il commande, et quand il est devant le monde. Derrière le roi, se tenaient le bourreau et ses deux valets habillés de rouge. Chacun d’eux portait un fouet, garni de balles de plomb, et un grand coutelas bien affilé.
— « Gens du pays, écoutez. — Tout-à-l’heure, ma mère sera conduite ici, pour y répondre de ce qu’elle a fait. Mais aucun de mes juges n’a pouvoir pour condamner la mère du roi. Je vais la juger moi-même. — Soldats, amenez ma mère. »
Les soldats amenèrent la mère du roi.
— « Mère, c’est moi qui vous juge. Vous avez voulu faire mourir mes deux jumeaux. Vous êtes cause que, pendant plus de sept ans, j’ai traité pis qu’une chienne ma femme, qui n’avait rien fait pour le mériter.
— Ce n’est pas vrai. Prouve-le moi.
— Soldats, amenez ma femme. »
Les soldats amenèrent la reine.
— « Femme, dis ce que tu sais.
— Roi, je ne parlerai pas contre votre mère. »
Le roi regarda sa femme. Il comprit qu’il n’en tirerait rien, ni par raison, ni par force. Cependant, sa mère criait toujours :
— « Ce n’est pas vrai. Prouve-le-moi. »
En ce moment, une pomme rouge comme un coquelicot tomba par terre. C’était la Pomme qui danse. Elle se mit à danser, à danser, jusqu’à ce qu’elle se posât, sans plus bouger, sur la tête de la mère du roi.
— « Mère, vous le voyez. La Pomme qui danse vous accuse.
— La Pomme qui danse ne parle pas. »
Alors, la Pomme qui danse s’en alla, et elle ne revint jamais, jamais. Le roi se trouva fort embarrassé. Sa mère criait toujours :
— « Ce n’est pas vrai. Prouve-le-moi. »
En ce moment, l’Oisillon qui dit tout vint se poser sur la plus haute branche d’un arbre planté au beau milieu de la grand’place.
L’Oisillon qui dit tout chantait :
— « Riou chiou chiou. — La reine a fait deux jumeaux, un garçon et une fille, qui ont des chaînes d’or entre peau et chair. — Riou chiou chiou. — La reine a mandé un messager au roi, pour lui porter la nouvelle. — Riou chiou chiou. — La mère du roi a dit au messager : « Tu diras au roi : — La reine a fait un chien et un chat. » — Riou chiou chiou. Le roi a répondu : « Chien et chat, — que tout soit gardé. » — Riou chiou chiou. — La reine a donné cent pistoles au messager pour dire : « L’ordre du roi est tel : — Fille ou garçon, — que tout soit noyé. »
— « Mère, vous le voyez. L’Oisillon qui dit tout vous accuse. »
La mère du roi se tut. L’Oisillon qui dit tout s’envola, et il ne revint jamais, jamais.
Alors, le roi s’agenouilla et pria Dieu. Quand il se releva, il était si triste, si triste, que chacun prenait pitié de lui. Pourtant, il ne pleurait pas, parce qu’un homme ne doit pas pleurer, surtout quand il commande, et quand il est devant le monde.
— « Mère, vous êtes coupable. Le bourreau et ses valets vont vous donner chacun cent coups de fouet. Cela fait, vous serez décapitée. »
Alors, le peuple cria :
— « Le fils ne doit pas juger sa mère à mort.
— Taisez-vous. C’est moi qui commande. »
Le roi regardait avec des yeux si courroucés, que chacun se tut et trembla de peur.
— « Gens du pays, écoutez. — J’ai jugé ma mère à mort, parce qu’elle l’a mérité. Maintenant, je lui dis : « Mère, je vous pardonne. Allez dans un couvent, pleurer vos péchés, jusqu’à l’heure de la mort. »
La mère du roi partit. Alors, le peuple cria :
— « Le roi a pardonné, parce que c’était sa mère.
— Taisez-vous. C’est moi qui commande. Vous allez voir quelque chose qui en vaut la peine. »
Alors, le roi ôta son épée, jeta son chapeau, son habit et sa chemise, et parut nu jusqu’à la ceinture. Il avait l’air si triste, si triste, que chacun prenait pitié de lui. Pourtant il ne pleurait pas, parce qu’un homme ne doit pas pleurer, surtout quand il commande, et quand il est devant le monde.
— « Gens du pays, écoutez. — J’ai jugé ma mère à mort, parce qu’elle l’a mérité. Je lui ai pardonné, parce que cela m’a plu, et parce que je suis le maître. La peine que j’ai ordonnée, c’est moi qui vais la souffrir. — Bourreau, tu es payé d’avance. Gagne ton argent. Fais ton métier. »
Le bourreau et ses valets n’osaient pas toucher au roi.
— « Allons, canaille ! À l’ouvrage ! Si vous tenez à votre peau, frappez fort, et tranchez droit. »
Alors, le bourreau et ses valets lièrent le roi à un arbre, et empoignèrent leurs fouets.
— « Hardi, bourreau ! Un, deux, trois, quatre… »
Le roi comptait les coups. Le bourreau, et ses deux valets, frappaient à grand tour de bras, chaque coup faisait sa plaie. Le sang jaillissait comme une fontaine rouge.
Le dernier coup frappé, le bourreau détacha le roi. Il était en si triste état, que chacun prenait pitié de lui. Pourtant, il ne pleurait pas, parce qu’un homme ne doit pas pleurer, surtout quand il commande, et quand il est devant le monde.
Alors, le peuple cria :
— « Assez ! assez ! Il ne faut pas que le roi meure.
— Taisez-vous. C’est moi qui commande. »
Le roi regardait avec des yeux si courroucés, que chacun se tut et trembla de peur. Alors, il s’agenouilla, et tendit le cou.
Le bourreau prit son grand coutelas bien affilé. Mais, en touchant le cou du roi, la lame se brisa comme verre.
— « Bourreau, prends le grand coutelas bien affilé de ton premier valet, et recommence. »
Le bourreau prit le grand coutelas bien affilé de son premier valet. Mais, en touchant le cou du roi, la lame se brisa comme verre.
— « Bourreau, prends le grand coutelas bien affilé de ton second valet, et cette fois, tâche de ne pas me manquer. »
Le bourreau prit le grand coutelas bien affilé de son second valet. Mais, en touchant le cou du roi, la lame se brisa comme verre.
Alors, le peuple cria :
— « Le Bon Dieu ne veut pas qu’il meure. Le Bon Dieu ne veut pas qu’il meure.
— Taisez-vous. C’est moi qui commande. »
Le roi regardait avec des yeux si courroucés, que chacun se tut et trembla de peur.
— « Bourreau, mande un valet chercher un autre grand coutelas bien affilé.
— Roi, ni moi, ni mes valets, ne pouvons vous obéir. Il est dit que, quand je manque trois fois, par ma faute, un homme condamné à mort, c’est lui qui doit prendre ma place, et moi la sienne. Il est dit que je dois vivre, quand je ne suis pas en faute. Il est dit que dorénavant, ni moi, ni aucun autre bourreau, nous ne pouvons plus toucher à un homme manqué trois fois.
— C’est bien. Tu n’as plus rien à faire ici. »
Le bourreau partit avec ses valets. Alors, le roi dit au peuple :
— « Gens du pays, écoutez. Le Bon Dieu n’a pas voulu me laisser souffrir toute la peine que ma mère a méritée. Que sa volonté soit faite. Maintenant, rentrez chez vous. »
Chacun s’en revint dans sa maison. Le roi fit comme les autres. Depuis ce jour, il vécut en paix et contentement avec sa femme et ses enfants. Tout le monde l’aimait et le respectait, parce que le Bon Dieu n’avait pas voulu que le fils souffrît toute la peine que sa mère avait méritée[4].
- ↑ Ces deux membres de phrase riment en gascon :
Can e gat,
Tout sio goardat. - ↑ En gascon :
Gouiato e gouiat,
Tout sio negat. - ↑ Cazaux disait : « Avec le fouet de Rascat. » Ce Rascat était bourreau de la sénéchaussée de Lectoure, avant la Révolution. Il devint ensuite exécuteur des arrêts criminels à Auch, où il guillotina un parent de ma grand’mére paternelle, condamné à mort, comme royaliste, par la commission ambulatoire venue de Bayonne. Sous la Restauration et le gouvernement de Juillet, Rascat s’était retiré à Lectoure, où il vivait d’une petite pension de l’État, augmentée du salaire que la ville lui comptait, comme percepteur des droits d’étalage, les jours de foire et de marché. Dans leurs récits, les vieux conteurs lectourois personnifiaient volontiers tous les bourreaux dans Rascat.
- ↑ Ce conte m’a été récité par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers), et par le vieux Cazaux, de Lectoure. Il est connu dans l’Agenais. Catherine Sustrac, native de Sainte-Eulalie, canton de Larroque-Timbaut (Lot-et-Garonne), le sait exactement, sauf l’épisode où le roi s’inflige le châtiment mérité par sa mère. — On remarquera qu’ici, et par exception, la formulette initiale de tous les contes de la Gascogne : « Je sais un conte », est suivie du titre même du conte.