Contes populaires de la Gascogne/Le Roi enchaîné

Contes populaires de la GascogneMaisonneuve frères et Ch. Leclerctome 1 (p. 85-102).

III

le roi enchaîné



Il y avait, une fois, un roi fort comme une paire de bœufs, vaillant comme une épée, honnête comme l’or. Ce roi faisait son métier mieux que personne. Nul ne pouvait dire, sans mentir, qu’il ne gagnât pas l’argent des impôts. Chaque matin, il entendait la messe, à genoux par terre, et faisait, à la sortie, de grandes aumônes, sur la porte de l’église. Le roi avait trouvé moyen de savoir ce qui se passait partout. Il avait toujours force soldats prêts à marcher, et des juges rouges bien payés. Quand on venait lui dire que ses ennemis voulaient l’attaquer, il partait aussitôt, en grand secret, avec sa troupe, et tuait tout ce méchant monde. Quand il savait qu’un homme avait volé ou tué, il disait à ses juges rouges :

— « Jugez cet homme à mort. »

Les juges rouges gagnaient leur paie, et le bourreau travaillait, un jour de foire, devant le peuple. Il faut que la mort soit un exemple, surtout pour les enfants, qui peuvent, un jour, être tentés de mal faire.

De cette façon, le roi avait fini par se faire craindre partout, et respecter dedans et dehors. Chacun vivait en paix, et voyageait, de jour et de nuit, sans crainte des mauvaises rencontres.

Pourtant, le roi n’était pas heureux. Il avait une femme méchante comme l’enfer. Tous les ans, elle lui faisait deux filles jumelles, qui ne valaient pas mieux que leur mère. Le roi prenait son mal en patience, et pensait :

— « Ma femme me fait des filles, comme une poule pond des œufs, mais elle est mule[1] pour les garçons. Cela est bien malheureux pour moi, et pour le peuple que je commande. »

Enfin, les choses en vinrent au point que les nobles et les riches du pays s’assemblèrent, et allèrent trouver le roi dans son Louvre.

— « Bonjour, roi.

— Bonjour, mes amis. Pourquoi êtes-vous ici ?

— Roi, nous sommes ici, pour vous dire que la reine vous fait des filles, comme une poule pond des œufs. Mais elle est mule pour les garçons. Un jour pourrait venir, où vos gendres se partageraient le pays, et rendraient les gens plus malheureux que les pierres. Il ne faut pas que cela soit. Roi, tâchez d’avoir un fils tel que vous, pour vous aider quand vous serez vieux, et pour nous commander quand vous serez mort.

— Mes amis, vous avez raison. Ne vous tourmentez pas davantage. Le temps viendra, où vous verrez que je sais pourvoir à tout. Maintenant, allons dîner et jouer aux cartes. »

Le roi, les nobles et les riches, allèrent s’attabler pour manger, boire, et jouer aux cartes jusqu’à la nuit. Quand les invités furent partis, le roi manda son premier homme d’affaires.

— « Mon ami, tu sais que je suis forcé de faire une pension de cent écus, à tous les pères qui ont au moins douze garçons vivants.

— Roi, j’aurais tort de ne pas le savoir. C’est moi qui paie les pensions de vos deniers. Cent pères sont dans le cas que vous dites ; et je paie, de votre part, à nonante-neuf, une pension de cent écus. »

Alors, le roi regarda de travers son premier homme d’affaires.

— « Écoute. J’entends que toutes mes dettes soient payées. Prouve-moi, sur-le-champ, que tu n’as pas tort de n’avoir pas pensionné le centième père, comme les nonante-neuf autres. Sinon, je ne donnerais pas deux liards de ton cou.

— Roi, je crois mon cou fort solide. Ce n’est pas sur lui que votre bourreau travaillera. Pendant que vous étiez à dîner et à jouer aux cartes, avec les nobles et les riches, on est venu me dire qu’il y avait, au bois du Gajan[2], un bûcheron, marié avec une femme belle comme le jour, et sage comme une sainte. Cinq fois, la femme a fait, tous les ans, deux frères jumeaux. Hier, elle en a fait deux autres. Sur-le-champ, j’ai commandé de payer la pension. Un valet la portera demain matin.

— Mon ami, tu ne voles pas tes gages. Je suis content de toi. Donne au valet une charge d’or, pour la porter au bûcheron. Aussitôt que cet or lui sera compté, le bûcheron partira, avec ses enfants, grands et petits, pour ne revenir jamais, jamais. Il laissera sa femme, toute seulette dans sa maison.

— Roi, vous serez obéi. »

Le lendemain soir, tout était fait comme le roi avait dit.

Trois mois se passèrent, sans qu’il fût plus parlé de rien. Mais un matin, le roi se réveilla en criant :

— « Hô ! valets ! Debout, fainéants ! Vite, mon fouet. Vite, ma trompe. Vite, mon meilleur cheval et ma meute. »

Cinq minutes après, le roi était en selle, et partait au grand galop, sonnant de la trompe, au milieu de ses chiens, qui criaient comme une bande de diables. Sept heures après, il descendait devant la porte de la maison, où la bûcheronne était demeurée seulette.

— « Bonjour, bûcheronne. Je suis le roi.

— Bonjour, roi. Qu’y a-t-il pour votre service ?

— Bûcheronne, fais à dîner, et mets mon couvert, pendant que j’enfermerai mon cheval et mes chiens à l’étable.

— Roi, vous serez obéi. »

Quand le dîner fut prêt et le couvert mis, le roi s’attabla. La bûcheronne le servait.

— « Bûcheronne, je t’ai pris ton mari et tes enfants. Tu ne les reverras jamais, jamais. Pour mon malheur et celui des autres, je suis marié à une femme méchante comme l’enfer. Elle me fait des filles, comme une poule pond des œufs. Mais elle est mule pour les garçons. Ce qui lui manque, tu l’as. Voilà pourquoi je suis venu. Nous aurons ensemble un fils, qui m’aidera quand je serai vieux, et qui commandera quand je serai mort.

— Roi, vous serez obéi. »

Le roi passa la nuit dans la maison, avec la bûcheronne. Le lendemain, au point du jour, il entra dans l’étable, sella son cheval, et lâcha sa meute. Quand il fut en selle, le roi dit :

— « Bûcheronne, adieu. Dans neuf mois, tu feras un fils beau comme le jour. Il aura une fleur-de-lys d’or sur la langue. Cet enfant, tu le feras baptiser, et tu diras au curé : « Le roi veut qu’il s’appelle Louis, comme son père. »

— Roi, vous serez obéi.

— Bûcheronne, ce que nous avons fait ensemble est un péché mortel. Si le Bon Dieu nous prenait maintenant, nous irions tout droit en enfer. Mais nous nous confesserons, et nous dirons au prêtre : « Il ne fallait pas que la terre du roi fût partagée. Il ne fallait pas que la paix du peuple fût perdue. » Le prêtre nous pardonnera ; mais nous ne nous reverrons jamais, jamais. »

Le roi partit au grand galop avec sa meute. Mais il ne sonnait plus de la trompe, comme en venant. La bûcheronne ne le revit jamais, jamais. À l’entrée de la nuit, il était rentré dans son Louvre.

— « Roi, dit la reine, d’où venez-vous ? Où avez-vous passé votre temps depuis hier ?

— Je viens d’où il me plaît. Tu ne le sauras pas. Depuis hier, j’ai passé mon temps avec une femme, qui me fera un garçon, pour m’aider quand je serai vieux, et pour commander quand je serai mort. »

La reine ne répondit rien, mais elle pensa :

— « Patience ! Tu me paieras ça. »

En effet, pendant le souper, elle donna un breuvage assoupissant au roi, qui s’alla coucher, et s’endormit comme un plomb. Alors, la reine se leva, sortit du château, et s’en alla trouver son galant.

— « Galant, veux-tu être roi ? Je serai ta reine.

— Mie, je le veux.

— Eh bien, suis-moi. »

Tous deux s’en allèrent dans la chambre du roi, qui dormait toujours comme un plomb.

Alors, le galant lui lia les pieds, les mains, et le chargea sur un cheval, comme un sac de blé. Cela fait, il prit la bête par la bride, et partit loin, bien loin, du côté du soleil levant. Une heure avant la nuit, il était dans une tour, à la cime d’une haute montagne. Contre les murailles de cette tour, le fer, le pic et la mine ne pouvaient rien. Pour ouvrir et fermer la porte de fer, il fallait une clef d’or, une clef d’or unique au monde.

Le galant prit la clef d’or, la clef d’or unique au monde, qui nuit et jour pendait à son cou, ouvrit la porte de fer, porta le roi dans la tour, et l’enchaîna avec une grosse chaîne de fer plombée dans le sol. Puis, il plaça près du prisonnier un pain noir et une cruche d’eau, referma la porte de fer à triple tour, et repartit dans la nuit noire. Au lever du soleil, il était auprès de la reine.

— « Mie, ton homme ne nous gênera plus. Si je l’avais tué, il n’aurait souffert qu’un moment. Je l’ai porté loin, bien loin, du côté du soleil levant. Je l’ai porté dans une tour, à la cime d’une haute montagne. Contre les murailles de cette tour, le pic et la mine ne peuvent rien. Pour avoir et fermer la porte de fer, il faut une clef d’or, une clef d’or unique au monde, qui pend nuit et jour à mon cou. Là, ton homme est enchaîné avec une grosse chaîne de fer plombée dans le sol. Près de ce gueux, j’ai mis un pain noir et une cruche d’eau. Le premier jour de chaque mois, j’irai lui porter même pitance. — Maintenant, mie, dis-moi où sont toutes tes filles.

— Galant, toutes mes filles sont dans leur chambre. »

Alors, le galant entra dans la chambre des filles, et les tua toutes sans miséricorde. Par ce moyen, le galant et la reine furent les maîtres du pays.

Quand le roi se réveilla dans sa tour, il se mit à songer bien tristement.

— « Ce que je souffre, je le mérite. J’ai fait un péché mortel, quand je suis allé trouver la bûcheronne. Pourtant il ne fallait pas que ma terre fût partagée entre mes gendres. Il ne fallait pas que la paix du peuple fût perdue. »

Pendant que le roi songeait et pleurait dans sa tour, la bûcheronne vivait seulette dans sa maison. Au bout de neuf mois, elle accoucha d’un garçon beau comme le jour. Il avait une fleur-de-lys d’or sur la langue. Trois jours après, la bûcheronne le portait elle-même à l’église, et disait au curé :

— « Curé, baptisez cet enfant. Il a une fleur-de-lys d’or sur la langue. Le roi veut qu’il s’appelle Louis, comme son père. »

Le curé obéit, et la bûcheronne rapporta l’enfant dans sa maison. Là, ils demeurèrent quinze ans, travaillant comme des galériens, et gagnant tout juste de quoi ne pas mourir de faim. Souvent, l’enfant disait à sa mère :

— « Mère, mon père est-il mort ou vivant ? »

La bûcheronne se taisait. Mais un jour, elle parla.

— « Mon ami, ton père n’est pas mort. Ton père est roi. Voilà pourquoi tu as une fleur-de-lys d’or sur la langue. Écoute. Déjà, tu es fort, adroit et hardi. À vingt-et-un ans sonnés, tu seras un homme. Pars à la recherche de ton père. Moi, je vais me rendre religieuse dans un couvent. Nous ne nous reverrons jamais, jamais.

— Mère, vous serez obéie. »

Le garçon salua sa mère, et partit. Un mois après, il était soldat à l’étranger. À vingt et un ans sonnés, il était capitaine.

— « Bon ! Maintenant, je suis un homme. Il s’agit d’obéir à ma mère, et de partir à la recherche de mon père. »

Le capitaine alla trouver son général.

— « Bonjour, mon général.

— Bonjour, capitaine. Que me veux-tu ?

— Mon général, donnez-moi mon congé. J’ai besoin de faire un grand voyage, pour obéir à ma mère.

— Capitaine, voilà ton congé. Pars, et que le Bon Dieu te conduise.

— Merci, mon général. »

Le capitaine salua son général et sortit. Une heure après, il montait à cheval, et partait à la recherche de son père.

Pendant un an, le capitaine voyagea chaque jour, du lever au coucher du soleil. Bien souvent, il pensait :

— « Méfie-toi. Tu ne t’es pas chargé d’un petit travail. Tâche de ne rien dire, de ne rien faire, qui donne à comprendre ce que tu veux. »

Enfin, le capitaine arriva dans le pays de son père. Sur la route, un vieux pauvre cheminait, le bâton à la main, la besace sur le dos.

— « La charité, monsieur, s’il vous plaît, pour l’amour de Dieu et de la sainte Vierge Marie. Pater noster, qui es in cœlis, sanctificetur

— Tiens, pauvre. Prends cet écu, et prie le Bon Dieu pour moi.

— Merci, monsieur. Vous serez obéi.

— Dis-moi, pauvre, quel est le roi qui commande en ce pays ?

— Monsieur, le roi qui commande en ce pays, depuis vingt-et-un ans passés, est une franche canaille. La reine vaut aussi peu que lui. Parlez-moi de l’ancien roi. En voilà un, qui était juste et aumônier. Qui sait ce qu’il est devenu ?

— Est-il mort ?

— Monsieur, je le crois. Pourtant, je n’en suis pas sûr. Un jour, le brave homme n’a plus reparu. Alors, le galant de la reine a tué toutes les filles de l’ancien roi. Ce n’est pas dommage. Elles seraient devenues pires que leur mère. Le galant de la reine a épousé sa maîtresse, et tous deux commandent, pour le malheur du pays. »

Le pauvre se tut, et le capitaine repartit. Alors, il pensa :

— « Méfie-toi. Tu ne t’es pas chargé d’un petit travail. Tâche de ne rien dire, de ne rien faire, qui donne à comprendre ce que tu veux. Peut-être ce pauvre a-t-il dit la vérité. »

Le pauvre avait dit la vérité. Le capitaine fit parler plus de vingt personnes. Toutes haïssaient le roi et la reine, et regrettaient l’ancien roi. Enfin, le capitaine arriva devant le Louvre de son père, et frappa sans peur ni crainte.

— « Pan ! pan ! Valets, voici la nuit. Je crève de faim et de soif. Mon cheval n’en peut plus. Faites-moi parler au roi. Il ne me refusera pas à souper et à coucher, pour cette nuit.

— Monsieur, depuis ce matin, le roi est parti seul en voyage, monté sur son grand cheval blanc. Il ne reviendra que demain soir, au coucher du soleil. La reine est seule dans son Louvre.

— Eh bien ! valets, faites-moi parler à la reine. »

Les valets obéirent.

— « Bonsoir, reine. Voici la nuit. Je crève de faim et de soif. Mon cheval n’en peut plus. Ne me refusez pas à souper et à coucher, pour cette nuit.

— Mon ami, viens souper avec moi. Valets, préparez une belle chambre. »

Tous deux allèrent s’attabler. Le capitaine était si beau, si beau, qu’aussitôt la vieille reine en tomba sur-le-champ amoureuse à perdre la tête.

— « Mon ami, mange à ta faim. Bois à ta soif. Ne te laisse manquer de rien. »

Le souper fini, la vieille reine renvoya les valets, et sauta au cou du capitaine.

— « Écoute. Tu es beau. Je suis amoureuse de toi. Faisons semblant d’aller nous coucher. Mais, quand les gens du Louvre seront endormis, viens me trouver dans ma chambre. Je te recevrai dans mon lit, et nous ferons l’amour ensemble.

— Reine, vous serez obéie. »

Tous deux firent semblant d’aller se coucher. Mais, quand les gens du Louvre furent endormis, le capitaine alla trouver la vieille reine dans sa chambre. Elle le reçut dans son lit, et ils firent l’amour ensemble.

Tout en faisant l’amour, ils devisaient de bien des choses.

— « Galant, veux-tu être roi ? Je serai ta reine.

— Mie, tu es si belle, si belle, que je mourrais de ne plus te voir. Que faut-il faire pour être roi ?

— Galant, il faut tuer mon mari, qui me fait souffrir mort et passion.

— Mie, dis-moi où est ton mari.

— Galant, depuis hier matin, mon mari est parti seul en voyage, monté sur son grand cheval blanc. Il ne reviendra que demain soir, au coucher du soleil.

— Mie, dis-moi où est allé ton mari.

— Galant, mon mari s’en est allé loin, bien loin, du côté du soleil levant. Il s’en est allé sur la cime d’une haute montagne, porter une miche de pain noir et une cruche d’eau à un vieux prisonnier qui, depuis vingt et un ans passés, vît enchaîné dans une tour. Encore un rien qui vaille, celui-là. J’entends qu’il y passe, comme mon mari.

— Mie, dis-moi comment j’entrerai dans la tour.

— Galant, contre les murailles de la tour, le pic et la mine ne peuvent rien. Pour ouvrir et fermer la porte de fer, il faut une clef d’or, une clef d’or unique au monde.

— Mie, je t’aime. Mie, tu es plus belle que le jour. Mie, pauvre mie, dis-moi vite où est la clef d’or, la clef d’or unique au monde.

— Galant, la clef d’or, la clef d’or unique au monde pend nuit et jour au cou de mon mari.

— Ah ! garce ! Je sais tout. Tu as fini de mal faire. »

D’un tour de main, le capitaine étrangla la vieille reine, ouvrit la fenêtre et jeta la carcasse dans la cour.

L’aube était déjà venue.

En deux minutes, le capitaine s’habilla, ceignit son épée, et alla se pendre à la corde de la cloche du Louvre.

— « Tantan tantan tantan. »

Au bruit de la cloche, valets et servantes accoururent, à moitié vêtus.

— « Braves gens, je suis le fils de l’ancien roi. Regardez. La fleur-de-lys d’or est sur ma langue. Braves gens, la vieille reine a fini de mal faire. Ramassez sa carcasse dans la cour. Les chiens en feront bonne chère. Braves gens, demain matin, au lever du soleil, nous aurons ici notre maître à tous. Vite, donnez l’avoine à mon cheval, et mettez-lui la bride et la selle. »

Le capitaine partit au grand galop. Sur le coup de midi, il arrivait à la tête d’un pont, jeté sur une rivière large et profonde. De l’autre côté de la rivière, arrivait le mari de la vieille reine, monté sur son beau cheval blanc.

Le capitaine tira sur la bride de sa monture, et mit l’épée au soleil.

— « Hô ! là-bas, l’homme au cheval blanc ! Arrête. On ne passe pas comme ça.

— Cavalier, que me veux-tu ?

— Ce que je veux, canaille ? Je veux ta vie. Ce que je veux, rien qui vaille ? Je veux la clef d’or, la clef d’or unique au monde qui pend nuit et jour à ton cou. Ce que je veux, bandit. Je veux délivrer mon pauvre père, enchaîné dans sa tour. Hardi ! Dégaine. Faisons bataille. »

Les cavaliers partirent au grand galop. Du premier coup d’épée, le capitaine coucha son ennemi mort sur le pont. Alors, il mit pied à terre, et saisit la clef d’or, la clef d’or unique au monde, qui nuit et jour pendait au cou du mari. Cela fait, il enleva la carcasse comme une plume, et la lança dans la rivière large et profonde.

— « Tenez, poissons. Faites bonne chère, avec la carcasse de ce brigand. »

Le capitaine sauta sur sa bête, et repartit au galop, emmenant, par la bride, le grand cheval blanc de son ennemi. Le même soir, une heure avant le coucher du soleil, il ouvrait la porte de fer de la tour avec la clef d’or, avec la clef d’or unique au monde qu’il avait saisie pendue au cou du mari.

En entrant, il salua jusqu’à terre.

— « Bonjour, roi. Ceux qui vous tenaient ici prisonnier, ont fini de mal faire. Attendez, que je rompe votre grosse chaîne de fer.

— Mon ami, ma grosse chaîne de fer est trop forte. Jamais tu ne la rompras.

— Roi, patience. Vous allez voir. »

Le capitaine était fort comme pas un. Dans ses mains, la grosse chaîne de fer se rompit, comme un lien de paille.

— « Roi, voilà qui est fait. Vous êtes libre.

— Merci, mon ami. Tu es fort. Moi, à ton âge, j’en aurais fait autant que toi. Dis-moi, comment t’appelles-tu ?

— Roi, je m’appelle Louis. Ma mère était une bûcheronne.

— Tu t’appelles Louis ! Ta mère était une bûcheronne ! Vite, vite, fais voir ta langue. »

Le capitaine fit voir sa langue, marquée d’une fleur-de-lys d’or.

Alors, le vieux roi pleura.

— « Tu es mon fils ! Tu es mon fils ! Je suis content, d’être le père d’un garçon fort et hardi comme toi.

— Roi, nous n’avons plus rien à faire ici. Nos chevaux nous attendent à la porte. »

Le capitaine aida le roi à monter sur le grand cheval blanc, et sauta sur sa monture.

— « Hardi ! Au galop ! »

Le lendemain, au lever du soleil, ils arrivaient au Louvre. Sur la porte, valets et servantes attendaient, avec tous les gens du pays. Alors, le capitaine descendit de cheval, et salua le roi jusqu’à terre.

— « Roi, vous êtes chez vous. Commandez. Nous sommes tous ici pour vous obéir.

— Mon fils, je suis trop vieux pour commander. J’entends que tu prennes ma place. Demain, je me rends moine dans un couvent, pour y prier le Bon Dieu jusqu’à la mort. Et maintenant, à table ! Valets, servantes, faites boire et manger tous ces braves gens. »

Le lendemain, le vieux roi se rendit moine dans un couvent, pour y prier le Bon Dieu jusqu’à la mort. Le fils prit la place de son père, et commanda, pour la justice et le bonheur du pays. Il épousa une princesse belle comme le jour, et vécut longtemps heureux et tranquille, avec sa femme et ses enfants[3].

  1. Stérile.
  2. Forêt entre Lectoure et Miradoux (Gers). Elle est aujourd’hui beaucoup moins grande qu’il y a vingt ans.
  3. Je sais ce conte depuis mon enfance ; mais je l’ai écrit sous la dictée du vieux Cazaux. Feue Cadette Saint-Avit le savait aussi. Parmi les survivants, j’ai consulté Françoise Lalanne, et Marianne Bense.