Contes populaires de la Gascogne/La Fleur

Contes populaires de la GascogneMaisonneuve frères et Ch. Leclerctome 1 (p. 193-211).

II

la fleur



Il y avait, une fois, un enfant qui n’avait plus ni père ni mère. Cet enfant s’appelait La Fleur. Il était déjà fort, hardi, avisé comme pas un.

Jusqu’à dix-huit ans, La Fleur gagna sa vie comme il put. Alors, il s’engagea dans les Dragons Dorés, et s’en alla faire la guerre en pays étranger. Trois ans après, il revenait capitaine.

Un jour, La Fleur était à Bordeaux, et se promenait sur le port, avec deux camarades. En ce moment, passait, dans sa voiture à quatre chevaux, une jeune Princesse belle comme le jour.

— « La belle Princesse ! cria La Fleur. Si j’étais assis près d’elle, je ne serais pas à plaindre. »

La Princesse fit arrêter sa voiture.

— « Dragons Dorés, qui de vous a parlé ? »

La Fleur n’osait pas répondre. Mais ses camarades parlèrent pour lui.

— « Princesse, c’est La Fleur.

— La Fleur, tu ne sais pas où l’on m’emporte. À t’asseoir près de moi, tu ne gagnerais rien de bon.

— Princesse, commandez, et je m’assieds.

— Non, La Fleur. Adieu. Nous nous reverrons. »

La voiture repartit plus vite que le vent. Mais La Fleur ne revit pas la Princesse, et il devint triste, bien triste. Un jour, il alla trouver son général.

— « Bonjour, mon général. Il me faut partir pour un grand voyage.

— La Fleur, voici ton congé.

— Merci, mon général. »

La Fleur salua son général, et sortit. Une heure après, il partait à cheval, avec son valet. Pendant sept ans, ils coururent le monde ; mais nul ne put leur donner des nouvelles de la Princesse.

Un soir, au coucher du soleil, La Fleur et son valet arrivèrent devant un grand château, dans un parterre, plein de beaux arbres et de jolies fleurs. La porte était ouverte, le souper sur la table, et deux lits prêts, avec des draps blancs comme neige. Pourtant, il n’y avait personne au château.

La Fleur s’attabla, soupa de bon appétit, et s’alla coucher. Son valet en fit autant. Au lever du soleil, tous deux étaient debout, et devisaient sous un laurier, dans le grand parterre plein de beaux arbres et de jolies fleurs. Tout-à-coup, le maître entendit des plaintes sortir de terre.

— « Ah ! ah ! ah !

— Entends-tu, valet ? dit La Fleur.

— Non, mon capitaine. Je n’entends rien.

— Ah ! ah ! ah !

— Que me voulez-vous ? répondit le capitaine.

— La Fleur, je suis ta Princesse. Voilà sept ans passés qu’un méchant homme m’a enterrée toute vive. Pour me délivrer, tu souffriras, pendant trois nuits, mort et passion. Souffre et ne dis rien. Si tu pousses un seul cri, je suis perdue pour toujours.

— Princesse, vous serez obéie. »

Le soir venu, La Fleur et son valet soupèrent de bonne heure, et allèrent se coucher. Sur le premier coup de dix heures, le capitaine entendit un grand bruit. Le méchant homme, qui avait enterré la Princesse toute vive sous le laurier, arrivait avec ses gens.

— « Allons, mes amis, prenez ce rien qui vaille. Jusqu’au premier chant du coq, traînez-le, par les cheveux, dans les escaliers du château. Nous verrons bien s’il souffrira sans rien dire, et sans pousser un seul cri. »

Du premier coup de dix heures au premier chant du coq, les gens du méchant homme firent comme il avait commandé. Mais La Fleur souffrit sans rien dire, et sans pousser un seul cri. Au lever du soleil, son valet le trouva presque mort sur le lit.

— « Mon capitaine, qu’avez-vous ?

— Je n’en puis plus. N’as-tu rien entendu, cette nuit ?

— Rien, mon capitaine.

— Cherche de quoi me soulager. »

Le valet obéit. Sur la cheminée, il trouva un pot d’onguent, et en frotta son maître de la tête aux pieds. Cinq minutes après, le capitaine était frais et gaillard comme pas un. Tous deux descendirent dans le parterre plein de beaux arbres et de jolies fleurs. Sous le laurier, la Princesse était sortie de terre jusqu’aux épaules.

— « Merci, La Fleur. Tu as passé une triste nuit. Bientôt tu souffriras davantage. Souffre, et ne dis rien. Si tu pousses un seul cri, je suis perdue pour toujours.

— Princesse, vous serez obéie. »

Tous deux rentrèrent au château.

— « Valet, n’as-tu rien vu ? N’as-tu rien entendu, sous le laurier ?

— Rien, mon capitaine. »

Le soir venu, La Fleur et son valet soupèrent de bonne heure, et allèrent se coucher. Sur le premier coup de onze heures, le capitaine entendit un grand bruit. Le méchant homme, qui avait enterré la princesse toute vive sous le laurier, arrivait avec ses gens.

— « Allons, mes amis, prenez ce rien qui vaille. Coupez-lui le nez et les oreilles, et, jusqu’au premier chant du coq, peignez-le avec un peigne de fer. »

Les gens du méchant homme firent comme il avait commandé. Ils coupèrent à La Fleur le nez et les oreilles, et, du premier coup de onze heures au premier chant du coq, ils le peignèrent avec un peigne de fer. Au lever du soleil, son valet le trouva presque mort sur le lit.

— « Mon capitaine, qu’avez-vous ?

— Je n’en puis plus. N’as-tu rien entendu, cette nuit ?

— Rien, mon capitaine.

— Cherche de quoi me soulager. »

Le valet obéit. Sur la cheminée, il trouva un autre pot d’onguent, et en frotta son maître de la tête aux pieds. Cinq minutes après, le nez et les oreilles avaient repoussé. Le capitaine était frais et gaillard comme pas un. Tous deux descendirent dans le parterre, plein de beaux arbres et de jolies fleurs. Sous le laurier, la Princesse était sortie de terre jusqu’aux genoux.

— « Merci, La Fleur. Tu as passé une triste nuit. Bientôt, tu souffriras davantage, mais pour la dernière fois. Souffre, et ne dis rien. Si tu pousses un seul cri, je suis perdue pour toujours.

— Princesse, vous serez obéie. »

Tous deux rentrèrent au château.

— « Valet, n’as-tu rien vu ? N’as-tu rien entendu, sous le laurier ?

— Rien, mon capitaine. »

Le soir venu, La Fleur et son valet soupèrent de bonne heure et allèrent se coucher. Sur le premier coup de minuit, le capitaine entendit un grand bruit. Le méchant homme, qui avait enterré la Princesse toute vive sous le laurier, arrivait avec ses gens.

— « Allons, mes amis. Prenez ce rien qui vaille. Coupez-lui les jambes et les bras. Embrochez le corps, et faites-le cuire tout vif, jusqu’au premier chant du coq. »

Les gens du méchant homme firent comme il avait commandé. Ils coupèrent à La Fleur les bras et les jambes. Ils embrochèrent le corps, et, du premier coup de minuit jusqu’au premier chant du coq, ils le firent cuire tout vif. Au lever du soleil, son valet le trouva presque mort sur le lit.

— « Mon capitaine, qu’avez-vous ? »

Le capitaine ne répondit pas.

Alors, le valet chercha de quoi le soulager. Sur la cheminée, il trouva un autre pot d’onguent, et en frotta le corps de son maître. Cinq minutes après, les bras et les jambes avaient repoussé. Le capitaine était frais et gaillard comme pas un. Tous deux descendirent dans le parterre, plein de beaux arbres et de jolies fleurs. Sous le laurier, la Princesse était debout, vêtue d’une robe couleur du soleil, une couronne d’étoiles dans les cheveux.

— « Merci, La Fleur. Mes tourments et les tiens sont finis. Valet, va seller et brider les trois meilleurs chevaux de l’écurie.

— Princesse, vous serez obéie. »

Tous trois partirent et cheminèrent jusqu’au coucher du soleil. Alors, ils s’arrêtèrent devant la porte d’un grand château.

— « Écoute, La Fleur, dit la Princesse. Voici trois pommes rouges comme des coquelicots. Entre dans ce château. Les maîtres t’inviteront à souper, et ils te feront boire du poison. Mais tu mangeras une de ces pommes, rouges comme les coquelicots, et le poison perdra tout pouvoir. Alors, rentre dans ta chambre. À minuit, je viendrai te chercher, et nous irons nous marier dans le pays de mon père. Surtout, quand tu auras mangé la pomme, garde-toi de boire, pour tant que la soif te tourmente.

— Princesse, vous serez obéie. »

La Princesse partit, et le maître et le valet entrèrent, sans peur ni crainte, dans le château. Pendant le souper, les maîtres versèrent du poison à La Fleur. Mais il mangea une des trois pommes rouges comme des coquelicots. Cela fait, il rentra dans sa chambre. Alors, il se trouva pris d’une soif si terrible, si terrible, qu’il oublia sa promesse, et but un grand verre d’eau. Cela fait, il s’endormit d’un sommeil de plomb.

Juste à minuit, la Princesse arriva. La Fleur dormait toujours.

— « Valet, ton maître m’a désobéi. Dis-lui que je vous donne tout un an, pour me trouver dans la Ville aux sept clochers. »

La Princesse couvrit le visage de La Fleur avec un mouchoir de soie bleue et partit. Au soleil levant, La Fleur se réveilla.

— « Mon capitaine, à minuit juste, la Princesse est arrivée. Vous dormiez, et elle a dit : « Valet, ton maître m’a désobéi. Dis-lui que je vous donne tout un an pour me retrouver dans la Ville aux sept clochers. » Alors, la princesse vous a couvert le visage avec ce mouchoir de soie bleue, et elle est partie.

— Valet, nous allons payer ma faute bien cher. Partons pour la Ville aux sept clochers. »

Pendant un an moins un jour, tous deux coururent le monde ; mais nul ne pouvait leur dire où était la Ville aux sept clochers. Enfin, ils arrivèrent sur une haute montagne. Là est le château de l’Homme Vert, qui garde les oiseaux, et qui est le maître de toutes les bêtes volantes.

— « Bonjour, Homme Vert. Ne pourrais-tu pas me dire où est la Ville aux sept clochers.

— Mon ami, je ne le puis pas. Mais je vais questionner mes bêtes volantes. »

L’Homme Vert siffla trois fois. Aussitôt, toutes les bêtes volantes de la terre arrivèrent sur la montagne.

— « Insectes, savez-vous où est la Ville aux sept clochers ?

— Non, Homme Vert.

— Papillons, savez-vous où est la Ville aux sept clochers ?

— Non, Homme Vert.

— Oiseaux, savez-vous où est la Ville aux sept clochers !

— Non, Homme Vert.

— Aigle, sais-tu où est la Ville aux sept clochers ?

— Oui, Homme Vert.

— Aigle, je te commande d’y porter ces deux hommes sur-le-champ.

— Homme Vert, tu seras obéi. Mais il ne faut pas que la chair crue me manque en chemin. »

Alors, l’Homme Vert saigna un mouton, et l’écorcha.

— « Aigle, voilà de la viande crue. Pars. »

L’aigle chargea les deux hommes et la viande sur son dos, et partit à toute volée. D’heure en heure, il criait, à rendre sourd :

— « De la viande crue ! De la viande crue ! »

Le mouton finit par y passer jusqu’aux os. Alors, La Fleur et son valet aperçurent la Ville aux sept clochers. Mais l’aigle criait toujours, à rendre sourd :

— « De la viande crue ! De la viande crue ! »

Que fit alors La Fleur ? Il tira son épée, et coupa un morceau de sa cuisse.

— « Tiens, aigle. Voici de la viande crue. »

En cinq minutes, l’aigle les déposait devant la porte de la Ville aux sept clochers.

— « Mes amis, j’ai fait ce que l’Homme Vert m’avait commandé. Adieu.

— Merci, aigle. »

L’aigle partit. Sur la grand’place de la Ville aux sept clochers, La Fleur et son valet trouvèrent la Princesse, avec trois chevaux sellés et bridés.

— « Allons, mes amis, en selle. »

Tous trois partirent au grand galop. Au coucher du soleil, ils étaient dans un pré, sous de grands arbres. Là, coulait une fontaine d’argent.

— « Écoute, La Fleur, dit la Princesse. Je n’ai pas de vivres à te laisser. Il te reste encore deux pommes rouges comme des coquelicots. Mange-les, si tu veux. Mais garde-toi de boire à la fontaine d’argent. À minuit juste, je reviendrai, et nous irons nous marier dans le pays de mon père.

— Princesse, vous serez obéie. »

La Princesse partit, et le maître et le valet s’endormirent sous les grands arbres. Une heure après, le capitaine se réveilla l’estomac vide. Alors, il mangea les deux pommes rouges comme des coquelicots. Aussitôt, la soif le prit, si terrible, si terrible, qu’il but à la fontaine d’argent. À la première lampée, il se rendormit comme un plomb.

Juste à minuit, la Princesse arriva. La Fleur dormait toujours.

— « Valet, dit-elle, ton maître m’a désobéi. Mais toi, tu fais ce qu’on te commande. En paiement de tes services, voici un mulet chargé d’or. Quand ton maître se réveillera, dis-lui que je lui donne jusqu’à demain, à midi, pour me trouver au pays où soufflera le Vent d’Autan.

— Princesse, vous serez obéie. »

La Princesse passa un anneau d’or au doigt de La Fleur endormi, lui couvrit le visage avec un mouchoir de soie rouge et un mouchoir de soie blanche, et partit. Au soleil levant, La Fleur se réveilla.

— « Mon capitaine, à minuit juste, la Princesse est venue. Vous dormiez, et elle a dit : « Valet, ton maître m’a désobéi. Mais toi, tu fais ce qu’on te commande. En paiement de tes services, voici un mulet chargé d’or. Quand ton maître se réveillera, dis-lui que je lui donne jusqu’à demain, à midi, pour me trouver au pays où soufflera le Vent d’Autan. » Alors, la princesse vous a passé cet anneau d’or au doigt. Elle vous a couvert le visage avec ce mouchoir de soie rouge et ce mouchoir de soie blanche, et elle est partie.

— Valet, ma faute nous coûtera cher. Selle et bride nos chevaux, et partons pour le pays où le Vent d’Autan soufflera demain.

— Mon capitaine, nos chevaux se sont échappés. Nous n’avons plus que le mulet chargé d’or. »

Tous deux partirent à pied, chassant devant eux le mulet chargé d’or. Deux heures avant le coucher du soleil, ils arrivèrent au bas d’une montagne si raide, si haute, que ni les deux hommes ni leur bête n’y pouvaient monter.

En ce moment, passait une femme, noire comme l’âtre, et vieille comme un chemin.

— « Bonsoir, mes amis. Voulez-vous que je vous tire de peine ?

— Toi, pauvre vieille ? Et que peux-tu faire pour nous ? »

La femme, noire comme l’âtre, et vieille comme un chemin, souffla. Aussitôt, tous trois se trouvèrent emportés, avec le mulet chargé d’or, sur le sommet de la montagne.

— « Mes amis, je suis la Mère des Vents. Mes enfants sont en voyage. Moi, je les attends, une heure après le coucher du soleil. Mais je n’ai rien pour les faire souper, et j’ai peur qu’ils ne me battent.

— N’aie pas peur, Mère des Vents. Tiens. Voici cent écus. Va vite acheter de quoi souper.

— Merci, mes amis. Entrez dans ma maison. Moi, je vais chercher des vivres. »

Cinq minutes plus tard, la Mère des Vents rentra, chargée de pain, de viande et de vin. Pendant que les casseroles et la broche menaient leur danse, la vieille dit à La Fleur et à son valet :

— « Mes amis, mangez, buvez, vite, et retirez-vous dans cette chambrette. Mes fils vont rentrer. Je ne veux pas qu’ils vous voient.

— Mère des Vents, tu seras obéie. »

Un quart-d’heure après, ils entendaient un sabbat d’enfer. C’étaient les Vents qui rentraient de leur voyage.

— « À table, mes fils. Vous ne me battrez pas ce soir. »

Les Vents s’attablèrent en riant.

— « Ah ! ah ! mère ! Quelle soupe ! Quel fricot. Et quel vin, mère ! Quel vin ! »

Au rôti, les Vents étaient en ribotte, et trinquaient.

— « À votre santé, mère.

— À votre santé, mes enfants.

— Que fais-tu demain, Vent de Bayonne[1] ?

— Demain, je vais souffler sur la mer grande, et faire perdre force navires.

— Et toi, Vent de Bise ?

— Moi, je vais souffler sur la ville de Paris, et secouer comme il faut le Louvre du roi de France.

— Et toi, Vent de Nord ?

— Moi, le pape aura de mes nouvelles. Je vais souffler sur la ville de Rome.

— Et toi, Vent d’Autan ?

— Moi, je vais souffler sur la ville de Jérusalem, et briser les grands arbres, en Terre-Sainte. »

Le maître et le valet écoutaient, cachés dans la chambrette.

— « Ah ! ceci est bon à savoir. »

Le souper fini, les Vents ôtèrent leurs manteaux, leurs grandes bottes, et allèrent se coucher. À minuit, ils étaient debout. Alors, La Fleur et son valet dirent au Vent d’Autan :

— « Bonjour, Vent d’Autan. Veux-tu de quoi faire longtemps ribotte avec tes frères, comme hier soir ?

— Oui, certes.

— Eh bien, Vent d’Autan, voici un mulet chargé d’or. Il est à toi, si tu nous emmènes à Jérusalem.

— Pauvres gens, jamais vous ne pourrez me suivre.

— Vent d’Autan, ceci nous regarde.

— Eh bien, partons. Le temps de cacher mon or, et de chausser mes grandes bottes. »

Pendant que le Vent d’Autan cachait son or, La Fleur et son valet sautèrent chacun dans une de ses grandes bottes.

Il n’était que temps. Le Vent d’Autan se chaussa.

— « Maître, valet, y êtes-vous ?

— Oui. »

Le Vent d’Autan partit à travers les nuages. Vingt fois par heure, il criait à rendre sourd :

— « Maître, valet, y êtes-vous ?

— Oui. »

À la pointe de l’aube, le Vent d’Autan se posa sur le toit du plus beau château de la ville de Jérusalem. C’était là que demeurait la Princesse. La Fleur et son valet sortirent chacun de leur botte.

— « Vent d’Autan, encore un service. Arrache un contrevent, et casse une vitre, dans la chambre de la Princesse.

— Mes amis, voilà qui est fait.

— Merci, Vent d’Autan. »

Le Vent d’Autan partit. Alors, La Fleur regarda, par la vitre cassée, dans la chambre de la Princesse. Elle dormait. La Fleur jeta les trois mouchoirs de soie sur son lit.

En se réveillant, la princesse aperçut les trois mouchoirs, et pensa :

— « Bon. La Fleur est ici. Nous avons fini de souffrir. »

Déjà, La Fleur et son valet couraient les rues de Jérusalem. Toutes les cloches étaient en branle. Les rues embaumaient de fleurs et de fenouil. Les maisons étaient tendues de draps de lit blancs, comme pour la procession de la Fête-Dieu.

— « Braves gens, que se passe-t-il donc en votre ville ?

— Étranger, aujourd’hui, l’archevêque de Jérusalem marie le roi d’Angleterre à une Princesse belle comme le jour. Entre dans cette église. Tu y verras quelque chose qu’il vaut la peine de regarder. »

Dans l’église, le roi d’Angleterre attendait, entouré de ses parents et de ses amis.

La Fleur alla s’asseoir à dix pas de lui.

Enfin, la Princesse arriva, son parrain à droite, sa marraine à gauche, suivie de ses parents et de ses amis. Elle arriva, vêtue de blanc, couronnée de fleurs d’oranger.

Son premier regard fut pour La Fleur.

Déjà, l’archevêque de Jérusalem, avec son diacre et son sous-diacre, était au pied du maître-autel, pour chanter la messe du mariage.

Alors, La Fleur parla :

— « Archevêque de Jérusalem, écoutez. Archevêque de Jérusalem, je m’appelle La Fleur. Archevêque de Jérusalem, je viens dénoncer un empêchement contre le mariage de la Princesse avec le roi d’Angleterre.

— La Fleur, cria le roi d’Angleterre, il n’y a pas d’empêchement. Mais l’église n’est pas faite pour les disputes. Sortons, et faisons bataille.

— Roi d’Angleterre, je suis à ton commandement. Pourtant, la paix vaut mieux que la bataille. Je parlerai. Tu répondras. Archevêque de Jérusalem, jugez-nous.

— La Fleur, parle. Je répondrai. Archevêque de Jérusalem, jugez-nous.

— Roi d’Angleterre, j’ai fait service à la Princesse. En paiement, elle m’a donné trois mouchoirs de soie, un blanc, l’autre bleu, l’autre rouge. Si je veux les garder, peut-elle me les reprendre ?

— Non, La Fleur. Ce qui est donné est donné. Ce qui est promis est promis.

— Roi d’Angleterre, c’est bien dit. Mais tu t’es condamné toi-même. La Princesse a les trois mouchoirs de soie, parce qu’il m’a plu de les lui rendre. Mais, en paiement de mes services, elle m’a fait aussi promesse de mariage. Cette promesse, il me plaît de la garder.

— Princesse, dit l’archevêque de Jérusalem, La Fleur a-t-il dit la vérité ?

— Archevêque de Jérusalem, La Fleur a dit la vérité. En paiement de ses services, je lui ai donné trois mouchoirs de soie, l’un bleu, l’autre blanc, l’autre rouge. Ces mouchoirs, je les ai, parce qu’il lui a plu de me les rendre. Je lui ai fait aussi promesse de mariage. Cette promesse, il la garde, et j’en ai le cœur content. Archevêque de Jérusalem, jugez-nous.

— Roi d’Angleterre, tu as tort.

— Archevêque de Jérusalem, c’est vrai. Je me suis condamné moi-même. La Princesse est à La Fleur. Archevêque de Jérusalem, chantez pour eux la messe du mariage. »

La messe dite et la noce faite, La Fleur ramena la Princesse dans son pays. Ils y vécurent longtemps heureux[2].

  1. Vent du sud-ouest.
  2. Dicté par feu Cazaux, de Lectoure. Ce conte m’a été confirmé, dans presque toutes ses circonstances, par cinq ou six narrateurs originaires de diverses parties de la Gascogne, notamment par Élie Rizon, du Pergain-Taillac (Gers), âgé d’environ vingt-sept ans, et pourvu de l’instruction primaire. Dans son récit, Rizon remplace le roi d’Angleterre par le roi d’Espagne.