Contes populaires de la Gascogne/L’Épée de saint Pierre

Contes populaires de la GascogneMaisonneuve frères et Ch. Leclerctome 1 (p. 148-168).

VI

l’épée de saint pierre



Il y avait, une fois, un roi, juste comme l’or, fort et hardi comme Samson. Pauvres et riches, pouvaient lui demander service. Jamais le brave homme ne disait non. Il devisait et riait avec tout le monde. Mais si quelqu’un tuait ou volait, le roi avait fini de deviser et de rire. Les juges et le bourreau faisaient leur métier.

Sa femme était belle comme le jour, dévotieuse comme une sainte. Chaque matin, en sortant de la messe, elle faisait de grandes aumônes, sur la porte de son château. Jamais on n’a vu, jamais on ne verra sa pareille, pour ne laisser manquer de rien les pauvres et les malades.

Le roi et la reine n’avaient qu’un fils, âgé de sept ans. Il était joli comme un cœur, sage et obéissant comme le petit Jésus.

Un jour, sur le coup de midi, le roi s’attablait avec sa femme et son enfant. Tout-à-coup, un général entra dans la chambre.

— « Bonjour, roi et la compagnie.

— Bonjour, général. Assieds-toi là, mon ami. Tu vas manger la soupe avec nous.

— Roi, c’est un mauvais moment pour manger la soupe. Le Roi des Païens arrive, avec toute son armée. Nous avons juste le temps de nous préparer à faire bataille.

— Hardi, général ! Vite, rassemble mes soldats. Fais sonner les cloches. Arme tous les hommes en état de marcher. Avant la nuit, j’entends que nous ayons mis au soleil les tripes de ces gueusards. Vous, tombez sur les officiers et les soldats. Moi, je me charge du Roi des Païens.

— Roi, dit la reine, ne faites pas bataille contre le Roi des Païens. Sur lui, le fer et l’acier trempé perdent tout pouvoir. Il ne mourra que par l’épée de saint Pierre. Mais il y a beau temps que saint Pierre l’a cachée ; et il ne reviendra pas du paradis, pour dire où il faut la chercher. »

Le roi se mit à rire.

— « Femme, tout-à-l’heure je saurai si l’on t’a dit vrai. Monte, avec notre enfant, à la plus haute tour du château. Là, vous serez à l’aise, pour me voir faire bataille contre le Roi des Païens. — Allons, valets ! Vite, mon cheval. Vite, ma lance. Vite, mon épée d’acier trempé. »

Tout le monde obéit. Le roi sauta sur son cheval.

La reine et l’enfant regardaient, montés à la plus haute tour du château.

— « Hardi, camarades ! Avant la nuit, j’entends que nous ayons mis au soleil les tripes de ces gueusards. Vous, tombez sur les officiers et les soldats. Moi, je me charge du Roi des Païens. »

Et le roi partit en avant, au grand galop de son cheval.

La reine et l’enfant regardaient, montés à la plus haute tour du château.

Mais la reine avait dit vrai. Sur le Roi des Païens, le fer et l’acier trempé perdaient tout pouvoir. D’un coup de hache, il fit voler à vingt pas la tête du roi.

La reine et l’enfant regardaient, montés à la plus haute tour du château.

Alors, les soldats du roi s’enfuirent épouvantés, courant comme des lièvres, et criant comme des aigles :

— « Nous sommes trahis ! Nous sommes trahis ! »

La reine et l’enfant regardaient, montés à la plus haute tour du château.

Ils étaient pâles comme un linceul. Pourtant, ils ne pleuraient pas. Alors, la reine prit l’enfant par les mains, et le regarda bien droit dans les yeux.

— « Écoute, petit. Écoute. Tout-à-l’heure, nous serons au pouvoir du Roi des Païens. Je ne veux pas qu’il te tue. Fais comme si tu étais sourd-muet. Le Roi des Païens te méprisera comme un infirme. Il te laissera vivre. Souviens-toi de ne me parler jamais, jamais, que je ne t’aie dit : Nous sommes tous deux seuls, bien seuls.

— Mère, vous serez obéie. »

Alors, la reine descendit dans sa chambre avec son enfant, et mit sa robe couleur de la lune. Cela fait, tous deux allèrent attendre le Roi des Païens, sur la porte du château. Le petit obéissait à sa mère, et faisait comme s’il avait été sourd-muet toute sa vie.

Avec sa robe couleur de la lune, la reine était si belle, si belle, qu’aussitôt le Roi des Païens en devint amoureux fou.

— « Reine, je suis maître en ce pays. Je suis maître en ce château.

— Roi des Païens, vous serez obéi.

— Reine, cet enfant est-il à toi ?

— Oui, Roi des Païens, il est à moi. Le Bon Dieu l’a fait naître sourd-muet. »

Mais le Roi des Païens se méfiait.

— « Petit, c’est moi qui ai tué ton père. »

L’enfant ne broncha pas.

Mais le Roi des Païens se méfiait.

— « Petit, je vais te tuer. »

L’enfant ne broncha pas.

Mais le Roi des Païens se méfiait.

— « Petit, je vais tuer ta mère. »

L’enfant ne broncha pas.

Alors, le Roi des Païens ne se méfia plus, et crut que l’enfant était réellement sourd-muet.

— « Reine, dit-il, je suis amoureux fou de toi. Il faut que tu sois ma femme. Sinon, je vous tue, toi et ton enfant.

— Roi des Païens, tuez mon enfant si cela vous plaît. J’ai honte d’avoir fait cet infirme. Peut-être vous ferais-je aussi d’autres enfants comme lui.

— Reine, ça m’est égal. Il faut que tu sois ma femme. Sinon, je vous tue, toi et ton enfant.

— Roi des Païens, laissez-moi le temps de porter mon deuil.

— Reine, il faut que tu sois ma femme demain. Sinon, je vous tue, toi et ton enfant.

— Roi des Païens, vous serez obéi. »

La reine rentra dans sa chambre, et se mit au lit avec son enfant. Alors, elle pleura toutes les larmes de ses yeux.

— « Sainte Vierge ! Et dire que demain je serai la femme du Roi des Païens. »

Le petit se taisait, et faisait semblant de dormir.

Le lendemain, la reine sauta du lit de bonne heure, et mit sa robe couleur du soleil. En s’habillant, elle pleurait toutes les larmes de ses yeux.

— « Sainte Vierge ! Et dire qu’aujourd’hui je vais être la femme du Roi des Païens. »

Le petit se taisait, et faisait semblant de dormir.

Enfin, la reine sortit. Elle rentra trois heures après. Le petit se taisait, mais il ne faisait plus semblant de dormir.

Alors, la reine parla.

— « Nous sommes tous deux seuls, bien seuls.

— Mère, je sais d’où vous venez, avec votre robe couleur du soleil. Vous venez d’épouser le Roi des Païens.

— Pauvre ami, c’est vrai. Quand tu seras grand et fort, n’oublie pas ce que j’endure pour toi.

— Mère, vous serez obéie. »

Neuf mois après, la reine accoucha d’un garçon, qui ne fut pas baptisé. Sur lui, comme sur son père, le fer et l’acier trempé perdaient tout pouvoir. Il criait comme un possédé du Diable. Le Roi des Païens riait, et se frottait les mains.

— « En voilà un qui n’est pas sourd-muet, comme cet infirme, que j’ai tort de laisser vivre.

— Roi des Païens, tuez cet infirme si cela vous plaît. Moi, je le laisserais vivre. Bientôt, nous pourrons en faire un petit valet. »

Voilà ce que disait la reine. Mais elle pensait :

— « Sainte Vierge ! Quelle vergogne ! Je suis la mère d’un Païen. Quand mon fils aîné sera grand et fort, il n’oubliera pas ce que j’endure pour lui. »

Jusqu’à l’âge de quatorze ans, le fils du roi vécut au château, faisant toujours comme s’il était sourd-muet. Depuis le jour où elle avait épousé le Roi des Païens, sa mère ne lui avait pas soufflé mot. Mais un soir, la reine parla.

— « Nous sommes tous deux seuls, bien seuls.

— Écoute. Pauvre ami, tu n’es plus un enfant. Dans sept ans, tu seras un homme. Tiens, prends ce bâton. Prends cette bourse. Va-t-en courir le monde. Tu me manderas en secret de tes nouvelles. Trouve l’épée de saint Pierre. Pauvre ami, quand tu seras grand et fort, n’oublie pas ce que j’endure pour toi.

— Mère, vous serez obéie. »

Le garçon salua sa mère, et partit.

Le lendemain, le Roi des Païens dit à la reine :

— « Reine, qu’est devenu le sourd-muet ?

— Roi des Païens, le sourd-muet s’est échappé du château. Quelque jour, on viendra nous dire qu’on l’a trouvé mort dans un fossé. Ce ne sera pas une grande perte. »

Voilà ce que disait la reine. Mais elle pensait :

— « Patience ! Quand mon fils aîné sera grand et fort, il n’oubliera pas ce que j’endure pour lui. »

Pendant un an, le fils du roi marcha droit, toujours tout droit devant lui, depuis le lever du soleil jusqu’à la nuit. Enfin, il arriva au bord de la mer grande, dans le pays des Landes, dans le pays des pins et de la résine. Là, il entra dans une métairie.

— « Bonjour, métayer et la compagnie.

— Bonjour, mon ami. Que me veux-tu ?

— Métayer, n’auriez-vous pas besoin d’un valet. Je n’ai que quinze ans. Pourtant je suis fort, adroit, et hardi.

— Mon ami, j’ai besoin d’un berger, pour garder, au bord de la mer grande, un troupeau de trois cents brebis blanches et noires. Si tu fais mon affaire, je te donnerai ta nourriture et ton entretien, et tous les ans je te compterai vingt écus[1] de gages.

— Maître, je suis votre berger. »

Le lendemain, à la pointe de l’aube, le fils du roi siffla ses deux grands chiens, ouvrit la porte de l’étable, et s’en alla garder, au bord de la mer grande, son troupeau de trois cents brebis blanches et noires. À la tombée de la nuit, il revint, portant trois loups morts sur son dos.

— « Tenez, maître. Voici votre troupeau de trois cents brebis blanches et noires. Le compte y est. Voilà trois loups morts. Je leur ai tordu le cou comme à des poulets. Allez faire la quête des œufs et du lard, et gardez-m’en bonne portion[2]. »

Le jour suivant, à la pointe de l’aube, le fils du roi siffla ses deux grands chiens, ouvrit la porte de l’étable, et retourna garder, au bord de la mer grande, son troupeau de trois cents brebis blanches et noires. C’était au temps de l’été. Vers midi, le garçon se coucha, pour dormir, à l’ombre d’un vieux chêne. Accroché sur le tronc de l’arbre, un pivert se désolait.

— « Quiou quiou quiou.

— Pivert, tu me casses la tête. Je veux dormir. Qu’as-tu donc tant à te désoler ?

— Quiou quiou quiou. Berger (en ce temps-là les bêtes parlaient), j’ai bien raison de me désoler[3]. Les frelons m’ont chassé du nid que je m’étais creusé, dans le tronc de ce vieux chêne.

— Patience, pivert. Je vais te rendre ton nid. »

Le fils du roi battit le briquet, alluma une poignée d’herbes sèches, et enfuma les frelons.

— « Tiens, pivert. Rentre dans ton nid, et ne me casse plus la tête. Je veux dormir.

— Quiou, quiou, quiou. Berger, tu m’as fait un grand service. Je te paierai selon mon pouvoir. Berger, je sais qui tu es. Je sais à quoi tu penses nuit et jour. Tu penses que ta mère t’a dit : « Va-t-en courir le monde. Tu me manderas en secret de tes nouvelles. Trouve l’épée de saint Pierre. Quand tu seras grand et fort, n’oublie pas ce que j’endure pour toi. » Berger, je ne sais pas où est l’épée de saint Pierre. Mais s’il faut porter, en secret, de tes nouvelles à ta mère, parle, et tu seras obéi.

— Pivert, va dire à ma mère : « Votre fils se porte bien. Il garde, au bord de la mer grande, un troupeau de trois cents brebis blanches et noires, et il n’oublie pas ce que vous endurez pour lui. »

Le pivert partit comme une balle. Au coucher du soleil, il attaquait, à grands coups de bec, le contrevent de la chambre de la reine.

Toute la nuit, l’oiseau travailla fort et ferme. Au point du jour, le contrevent était troué. Alors, le pivert vit que la reine était seule, et il vint s’accrocher au chevet de son lit.

— « Quiou quiou quiou. Bonjour, reine. Votre fils se porte bien. Il garde, au bord de la mer grande, un troupeau de trois cents brebis blanches et noires, et il n’oublie pas ce que vous endurez pour lui.

— Merci, pivert. »

Le pivert repartit comme une balle.

— « Berger, tu es obéi.

— Merci, pivert. Dorénavant, j’entends que nous soyons grands amis.

— Berger, avec plaisir. Si jamais tu as encore besoin de moi, crie bien fort : « Quiou quiou quiou. » Où que je sois, quoi que je fasse, je quitterai tout pour toi. »

Le fils du roi et le pivert devinrent donc grands amis. Du lever au coucher du soleil, ils devisaient longuement. Mais un jour, le pivert se mit en grande colère.

— « Quiou quiou quiou. Berger, voilà juste un an que tu gardes, au bord de la mer grande, ton troupeau de trois cents brebis blanches et noires. À ce métier, tu ne trouveras jamais l’épée de saint Pierre. Va-t-en courir le monde. Si tu as encore besoin de moi, tu sais ce que je t’ai promis.

— Adieu, pivert. Demain soir, je serai loin. »

Le lendemain, à la pointe de l’aube, le fils du roi salua ses maîtres et partit.

Pendant un an, il marcha droit, toujours tout droit devant lui, depuis le lever du soleil jusqu’à la nuit noire. Un matin, en traversant un grand bois, le fils du roi se sentit las. Il s’assit à l’ombre d’un chêne, et tira de sa besace un morceau de pain. C’était au temps de l’été. La terre était toute crevassée.

Tandis qu’il déjeunait de bon appétit, sept lézards sortirent de terre, et vinrent ramasser les miettes.

— « Mangez, lézards. Mangez, mes amis. Tenez. Voici le reste de mon pain. »

Les sept lézards n’en firent qu’une bouchée.

— « Tziou tziou tziou. Jeune homme, tu nous as fait un grand service. Nous te paierons selon notre pouvoir. Jeune homme, nous savons qui tu es. Nous savons à quoi tu penses nuit et jour. Tu penses que ta mère t’a dit : « Va-t-en courir le monde. Trouve l’épée de saint Pierre. Quand tu seras grand et fort, n’oublie pas ce que j’endure pour toi. » Jeune homme, nous ne savons pas où est l’épée de saint Pierre. Mais, à la prochaine nuit de Noël, tu en apprendras plus long que nous. Pourtant, tu n’es pas au bout de tes épreuves. Si jamais tu as besoin de nous, siffle fort : « Tziou tziou tziou. » Où que nous soyons, quoi que nous fassions, nous quitterons tout pour toi.

— Merci, lézards. »

Les sept lézards rentrèrent sous terre, et le fils du roi repartit.

Enfin, la nuit de Noël arriva. Il glaçait, et la lune brillait sur la campagne blanche de neige. Le fils du roi se disait :

— « Le temps marqué par les sept lézards est venu. Marche, marche toujours, jusqu’à ce que tu saches où trouver l’épée de saint Pierre. »

À minuit, il s’arrêta tout proche d’une rivière. Au bord de l’eau, grelottait un vieux pauvre à barbe grise.

— « Bonsoir, pauvre. Mauvais temps pour voyager. Tu grelottes. Tiens. Bois un coup à ma gourde. Cela te réchauffera. »

Le vieux pauvre but un coup à la gourde, et ne grelotta plus.

— « Merci, mon ami. Maintenant, porte-moi de l’autre côté de l’eau.

— Avec plaisir, pauvre. Monte sur mon dos, et tiens-toi ferme. Jésus ! Tu ne pèses pas plus qu’une plume.

— Patience. Je pèserai davantage au milieu de l’eau.

— C’est vrai. Jésus ! Tu m’écrases.

— Patience. Sur l’autre bord, je ne pèserai pas plus qu’une plume.

— C’est vrai. Tiens, pauvre, te voilà passé. Bois encore un coup à ma gourde, et que le Bon Dieu te conduise.

— Jeune homme, je ne suis pas un pauvre. Je suis saint Pierre. Jeune homme, tu m’as fait un grand service. Je te paierai selon mon pouvoir. Jeune homme, je sais qui tu es. Je sais à quoi tu penses nuit et jour. Tu penses que ta mère t’a dit : « Va-t-en courir le monde. Trouve l’épée de saint Pierre. Quand tu seras grand et fort, n’oublie pas ce que j’endure pour toi. » Jeune homme, écoute. Jusqu’à la pointe du jour, tu vas marcher, en priant Dieu, tout le long de la rivière. Alors, tu seras devant un trou noir et puant, un trou profond de cent toises. Hardi ! Descends, sans peur ni crainte. Aide-toi des pieds et des mains. Mais en-bas, tu ne seras pas au bout de tes épreuves. Longtemps, bien longtemps, tu voyageras sous terre. Dans ta besace, tu trouveras, chaque matin, juste assez de pain pour ne pas crever de faim. Dans ta gourde, tu trouveras, chaque matin, juste assez de vin pour ne pas crever de soif. Garde-toi bien de manger ni boire autre chose, et file toujours ton chemin. Enfin, tu arriveras sous la montagne du Calvaire, où fut mis en croix Notre-Seigneur Jésus-Christ. Là, il y a une grande église, où sept cents cierges et sept cents lampes brûlent nuit et jour. Pourtant, il n’y entre jamais personne. Sur le maître-autel de la grande église, tu prendras mon épée, et tu retourneras dans ton pays, pour y tuer le Roi des Païens. Mais le Roi des Païens a un fils. J’entends que celui-là ne meure pas, car il est ton frère de mère.

— Saint Pierre, vous serez obéi. »

Saint Pierre partit. Le fils du roi marcha tout le long de la rivière, en priant Dieu, jusqu’à la pointe du jour. Alors, il arriva devant un trou noir et puant, un trou profond de cent toises, et descendit, sans peur ni crainte, en s’aidant des pieds et des mains. En-bas, des garçons et des filles attablés mangeaient et buvaient.

— « Mon ami, mon ami, viens ribotter avec nous. »

Mais le fils du roi se souvenait de la défense de saint Pierre. D’un grand coup de pied, il porta la table par terre, et jeta les bouteilles et les assiettes à la tête des ribotteurs.

— « Au large, maquereaux ! Foutez-moi le camp, bande de putains. »

Tout ce sale monde partit, et le fils du roi se mit en route. Longtemps, bien longtemps, il voyagea sous terre, sans jamais rencontrer personne. Dans sa besace, il trouvait, chaque matin, juste assez de pain pour ne pas crever de faim. Dans sa gourde, il trouvait, chaque matin, juste assez de vin pour ne pas crever de soif. Mais, un jour, il entendit crier à faire pitié.

— « Ah ! ah ! ah ! »

C’était un homme vêtu de haillons, couché au bord du chemin. Il avait les cheveux roux comme une carotte, et puait plus que cent charognes.

— « Ah ! ah ! ah !

— Qu’as-tu donc, mon pauvre ami ?

— Ah ! ah ! ah ! Je ne puis plus mettre un pied devant l’autre. Je crève de faim et de soif. Par pitié, jeune homme, tire-moi d’ici. Ah ! ah ! ah ! »

Alors, le fils du roi pensa : « Il faut avoir pitié des pauvres gens. »

— « Tiens, mon ami, mange ce petit morceau de pain. Bois une goutte à ma gourde. Allons, donne-moi le bras. Marchons. Je te tirerai d’ici. »

Longtemps, bien longtemps, le fils du roi et l’homme au poil roux voyagèrent sous terre, sans jamais rencontrer personne. Dans la besace, ils trouvaient, chaque matin, juste assez de pain pour ne pas crever de faim. Dans la gourde, ils trouvaient, chaque matin, juste assez de vin pour ne pas crever de soif. Enfin, ils arrivèrent sous la montagne du Calvaire, où fut mis en croix Notre-Seigneur Jésus-Christ. Là, il y a une grande et belle église, où sept cents cierges et sept cents lampes brûlent nuit et jour. Pourtant, il n’y était jamais entré personne. Sur le maître autel de la grande église, le fils du roi prit l’épée de saint Pierre. Puis, il s’agenouilla, et pria Dieu. Cela fait, il chercha des yeux son compagnon.

Malheur ! L’homme au poil rouge n’était plus là. La porte de fer de la grande église était fermée à triple tour. Au-dehors, l’homme au poil roux poussait les verroux et criait :

— « Ha ! ha ! ha ! Je suis Judas Iscariote. Ha ! ha ! ha ! Tu voulais l’épée de saint Pierre ! Ha ! ha ! ha ! Tâche maintenant de sortir d’ici. »

Judas Iscariote partit. Alors, le fils du roi se mit à penser bien tristement.

— « Saint Pierre m’a dit : « Tu n’es pas au bout de tes épreuves. » Saint Pierre n’a pas menti. Mère de Dieu, qui me tirera d’ici ? »

Alors, le fils du roi cria bien fort :

— « Quiou quiou quiou. »

Mais le pivert ne vint pas.

Alors, le fils du roi siffla bien fort :

— « Tziou tziou tziou. »

Mais les sept lézards ne vinrent pas.

Tout un an, le fils du roi vécut ainsi, seul, sous la montagne du Calvaire, dans la grande église où sept cents cierges et sept cents lampes brûlent nuit et jour. Dans sa besace, il trouvait, chaque matin, juste assez de pain pour ne pas crever de faim. Dans sa gourde, il trouvait, chaque matin, juste assez de vin pour ne pas crever de soif. Enfin, il entendit crier sous terre.

— « Tziou tziou tziou. »

Une heure après, les sept lézards avaient ouvert, dans le pavé de la grande église, un trou à faire passer un homme.

— « Tziou tziou tziou. Jeune homme, nous t’avons entendu sous terre. Mais il nous a fallu tout un an pour te creuser un passage. Vite, vite, prends l’épée de saint Pierre, et en route.

— Lézards, vous serez obéis. »

Trois jours après, les sept lézards avaient ramené le fils du roi sur la terre.

— « Merci, lézards. Retournez-vous-en chez vous. »

Les sept lézards rentrèrent sous terre. Alors, le fils cria fort :

— « Quiou quiou quiou. »

Cette fois, le pivert entendit. Il arriva comme une balle.

— « Pivert, va dire à ma mère : « Votre fils a fini de courir le monde. Il a trouvé l’épée de saint Pierre, et il n’oublie pas ce que vous endurez pour lui. »

Le pivert repartit comme une balle.

Tout un an, la reine espéra, sans rien voir venir. Enfin, un pèlerin de Saint-Jacques[4] vint frapper à la porte du château.

— « Pan ! pan ! Valets, allez dire à la reine que je vends de belles médailles d’or et d’argent, de beaux chapelets de diamants, bénis par le pape de Rome. »

Les valets obéirent.

— « Valets, retournez à vos affaires. »

Les valets partis, le pèlerin de Saint-Jacques verrouilla la porte en-dedans, ouvrit sa longue robe, et montra l’épée de saint Pierre, qui pendait à sa ceinture.

Alors, la reine parla.

— « Nous sommes tous deux seuls, bien seuls.

— Bonjour, mère. J’ai fini de courir le monde. J’ai trouvé l’épée de saint Pierre. Je n’ai pas oublié ce que vous avez enduré pour moi. — Où est le Roi des Païens ?

— Mon fils, le Roi des Païens est à la chasse, avec son fils. Avant une heure, ils seront de retour.

— Mère, avant une heure, le Roi des Païens aura fini de mal faire.

— Mon fils, tu n’auras fait encore que la moitié de ton travail. Sainte Vierge ! Quelle vergogne ! Je suis la mère d’un Païen. J’entends que le fils y passe comme le père.

— Mère, saint Pierre m’a dit : « J’entends que celui-là ne meure pas, car il est ton frère de mère. »

— Mon fils, je ne suis pas née pour parler contre saint Pierre. Mais alors, j’entends que ton frère soit mis hors d’état de se marier.

— Mère, vous serez obéie. »

Le fils du roi dépouilla sa robe de pèlerin de Saint-Jacques, courut à l’écurie, choisit le meilleur cheval, lui mit la bride et la selle, et partit au grand galop.

— « Hô ! Roi des Païens, je suis le sourd-muet. Roi des Païens, j’ai trouvé l’épée de saint Pierre. Roi des Païens, gare à toi. »

Au premier coup d’épée, le Roi des Païens tomba percé d’outre en outre.

Cela fait, le fils du roi mit pied à terre.

— « Frère, saute en bas de ton cheval, et mets-toi nu comme un ver. »

Ce qui fut dit fut fait.

D’un coup d’épée, le fils du roi châtra son frère.

Tous deux retournèrent au château.

— « Mère, vous êtes obéie. Désormais, mon frère est hors d’état de se marier.

— Mes fils, je n’ai plus rien à faire ici. Adieu. Je vais m’enfermer dans un couvent, et prier Dieu jusqu’à la mort. »

La reine partit. Alors, le châtré demanda le baptême, et vécut comme un grand saint. Sur lui, le fer et l’acier avaient repris leur pouvoir. Le nouveau roi épousa une princesse belle comme le jour, et honnête comme l’or. Ils vécurent longtemps heureux[5].

  1. Nos paysans gascons continuent encore à compter par pistoles (dix francs), et par grands et petits écus (six francs, trois francs), bien que ces monnaies ne circulent plus.
  2. Il est d’usage, en Gascogne, que ceux qui tuent un loup, un renard, un blaireau, ou une fouine, courent le pays, avec le corps de la bête, pour recueillir, dans les habitations rurales, des dons en nature, tels que du lard, des œufs, etc., et quelquefois de l’argent.
  3. Cette parenthèse revient assez souvent, dans les contes gascons où les bétes parlent. J’ai cru qu'il suffisait de la noter une fois pour toutes.
  4. Saint-Jacques-de-Compostelle, en Espagne.
  5. Dicté par feu Cazaux. Ce conte m’a été confirmé par deux hommes, qui vivent encore : Derrey, du Pergain-Taillac (Gers), et Petiton, jardinier à Lectoure. Je me souviens d’ailleurs fort bien avoir entendu pareille narration dans ma jeunesse ; mais je ne me suis pas fié à mes souvenirs.