Contes populaires de Basse-Bretagne/Le Sabre rouillé



I


LE SABRE ROUILLÉ
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IL y avait, une fois, un roi de France qui, désolé de voir le grand nombre d’enfants bâtards qui naissaient dans sa capitale, dit un jour que la mère du premier bâtard qui verrait le jour à Paris serait mise à mort.

Bien ! Ce roi ne savait pas ce qui l’attendait. Il avait un fils et une fille, qui s’aimaient si tendrement que la sœur devint enceinte des œuvres de son frère. Les voilà bien embarrassés, car ils n’ignoraient pas l’arrêt de leur père. Que faire ? Ils quittent secrètement le palais, de nuit, par une porte de derrière, et s’embarquent sur un navire qu’ils ont approvisionné de vivres et de toutes sortes de grains, de semences et d’outils.

Ils débarquent dans une île déserte, au loin, bien loin. Ils se construisent une petite maison et sèment du blé.

La princesse donna le jour à un fils, un enfant superbe, qu’ils nommèrent Mabic.

Le père allait chasser ou pêcher, presque tous les jours. L’enfant venait à merveille. Il avait déjà quinze ou seize ans, lorsque son père, étant allé un jour chasser, dans une île voisine, vit venir à lui un petit cheval noir, sellé, bridé, et qui semblait l’inviter à monter sur son dos. Il monte dessus, et aussitôt le cheval part au galop et le conduit à un château, qui était non loin de là. Ce château était habité par un géant magicien.

— Ah ! te voilà donc, fils du roi de France ! lui dit le monstre, en le voyant.

— Je ne suis pas venu de moi-même, c’est le cheval qui m’a amené, répondit le prince.

— C’est très bien, et tu es de bonne prise.

Et le géant le précipita dans un étang glacé, qui se trouvait là. Sa tête fit un trou dans la glace, et, ne pouvant se dégager, il fut vite noyé.

Son fils vint le chercher, dans la même île. Il rencontra le même petit cheval noir, bridé, sellé, monta sur son dos, et fut aussi conduit au château du géant. Il vit, en arrivant, le corps de son père, dans l’étang et s’écria :

— Mon Dieu, voilà mon père !

— Oui, dit le géant, mais, je ne puis te traiter comme lui, car je n’ai pas de pouvoir sur toi. Mais, reste avec moi ici, et tu ne manqueras de rien.

Il reste, parce qu’il y est forcé. Voilà sa mère seule, à présent, dans son île, et vous pouvez juger de sa douleur. Elle part aussi à la recherche de son frère et de son fils et est amenée au même château par le petit cheval noir.

— Je vous attendais, lui dit le géant ; je n’ai aucun pouvoir sur vous, mais, restez ici avec votre fils et vous y serez bien.

Elle resta, ne pouvant faire autrement.

Mabic allait tous les jours à la chasse, dans le bois qui entourait le château. Dès qu’il était parti, le géant enfermait sa mère dans une cage garnie de clous aux pointes aiguës, et lui défendait, sous peine de mort, d’en rien dire à son fils. Elle maigrissait et dépérissait à vue d’œil. Un jour, le géant lui parla de la sorte :

— Dites à votre fils d’aller chercher, dans l’enfer, le grand sabre rouillé qui se trouve là, et, s’il parvient à s’en emparer, nul homme au monde ne pourra lui résister, et alors je vous rendrai la liberté, je vous épouserai et nous serons heureux ensemble.

La pauvre femme fit part à son fils des paroles du géant.

— Qu’on me donne le petit cheval noir, dit Mabic, et j’irai chercher le sabre rouillé, dans l’enfer.

On lui donne le petit cheval noir et il part.

Mais, aussitôt sa mère est enfermée de nouveau dans sa cage garnie de clous à pointes aiguës.

Il passe près d’un château, où il entend un bruit et des cris effrayants, comme si dix mille hommes s’y égorgeaient.

— Qu’est cela ? dit-il ; je veux aller voir.

— N’allez pas dans ce château, lui dit son cheval, ou vous vous en repentirez.

— Je veux voir ce qu’il y a là-dedans ; je n’ai pas peur.

Et il descendit, frappa à la porte et fut bien accueilli. C’était un château de cristal, habité par douze géants, frères de celui de l’île. Une fois entré, il n’entend plus aucun bruit. Il soupe et loge dans le château.

Le lendemain matin, il se remet en route avec son petit cheval noir, qu’il retrouve à la porte du château, où il l’avait attaché à un poteau, et les géants lui disent :

— Quand vous repasserez, avec votre sabre, venez nous voir.

Il le leur promet et part.

A environ cent lieues de là, il arrive à un second château, où il entend plus de vacarme encore que dans le premier.

— Il faut que j’aille voir ce qu’il y a là-dedans, dit-il.

— N’y allez pas, lui dit le cheval, ou vous vous en repentirez.

Il descend, attache son cheval à un poteau et frappe à la porte.

On lui ouvre et fait bon accueil. C’était un château en argent, habité par trente géants, frères de celui de l'île et de ceux du château de cristal. Il y soupe et loge, sans qu’il lui arrive de mal, et, au"moment de partir, le lendemain matin, les géants lui disent :

— Revenez nous voir, quand vous repasserez avec le sabre rouillé.

Il le leur promet et se remet en route.

A environ cent lieues de là, il arrive à un troisième château, où il entend encore un vacarme de tous les diables, bien plus fort que dans les deux premiers.

— Il faut que j’aille voir ce qu’il y a là-dedans, dit-il encore ; c’est sans doute l’enfer.

— N’y allez pas, lui dit son cheval, ou vous vous en repentirez.

Il descend, attache son cheval à un poteau, frappe à la porte et entre.

Il n'entendait plus aucun bruit. C'était un château en or massif, habité par quarante géants, frères de ceux de l’île et des deux autres châteaux. Il y soupe et passe la nuit, sans qu’il lui arrive de mal, et, au moment de partir, le lendemain matin, les géants lui disent :

— Revenez nous voir, quand vous repasserez par ici, avec le sabre rouillé.

Il le leur promet.

— A quelle distance suis-je encore de l’enfer ? leur demande-t-il, en détachant son cheval, qu’il retrouve à son poteau.

— A deux cents lieues, lui répondent les géants. Voici, du reste, une boule d’or qui roulera d’elle-même devant vous ; vous n’aurez qu’à la suivre, et elle vous conduira tout droit à la porte de l’enfer.

Et ils lui montrent la boule d’or, qui roule déjà devant lui. Il la suit et, au coucher du soleil, elle va heurter contre la porte du sombre manoir du Diable. Le cheval lui dit alors :

— Moi, je ne puis vous suivre dans ce lieu. Attachez-moi au poteau que voilà, et, à votre retour, — si toutefois vous revenez, — vous me retrouverez ici. On vous introduira dans une salle, où vous verrez beaucoup de beaux sabres en cuivre, en argent et en or, avec les manches garnis de diamants et de pierres précieuses, et le Diable vous dira d’en choisir un. Vous ne prendrez aucun de ceux-là, mais bien un vieux sabre rouille, que vous verrez pendu à un clou au mur. Et faites-y bien attention, car de là dépend le succès.

La porte s’ouvrit en ce moment et le Diable lui-même vint le recevoir et lui dit :

— Soyez le bienvenu, petit-fils du roi de France ! Vous arrivez fort à propos, car j’ai besoin d’un valet d’écurie. Venez que je vous montre mes chevaux.

Et il le conduisit à l’écurie et lui fit voir ses chevaux.

— Voici, dit-il, un cheval dont vous aurez grand soin : quant aux autres, traitez-les comme vous voudrez, et quand vous ne leur donneriez, pour toute nourriture, que des fagots d’épine ou des pierres, peu m’importe.

Et, lui présentant un grand trousseau de clefs :

— Voici les clefs de toutes les chambres et salles du château. Je dois partir, demain matin, pour un voyage qui durera six mois (à moins de quelque événement imprévu), et, pendant mon absence, vous pourrez pénétrer partout. Je ne vous interdis qu’un seul endroit, c’est le cabinet qu’ouvre la petite clef que voici (et il la lui montra) ; gardez-vous bien de l’ouvrir, ou malheur à vous !

— C’est bien, dit Mabic, je ferai en sorte de vous contenter.

Le maître du château partit le lendemain, de bonne heure.

Mabic s’occupe de ses chevaux, puis il va se promener dans les jardins et visiter les salles et les chambres du château, qui étaient toutes plus belles les unes que les autres. C’était partout de riches tissus et des parures de toute sorte, et des monceaux d’argent, d’or et de pierres précieuses.

Il en restait ébahi.

Le cabinet défendu l’intriguait singulièrement.

— Que peut-il donc y avoir là-dedans ? se demandait-il.

Enfin, au bout de trois jours, n’y pouvant plus tenir, il l’ouvrit. Et que vit-il ? Une pauvre jument, d’une maigreur effrayante, se soutenant à peine sur ses jambes, et qui lui parla de la sorte :

— Voici dix-huit ans que je suis ici, dans l’état où vous me voyez. Je ne reçois de nourriture que tout juste pour ne pas mourir et souvent je suis battue. Je suis la fille du roi d’Espagne, métamorphosée sous cette forme par le magicien qui habite ce château. Montez dans son cabinet, lisez le petit livre rouge qui contient tous ses secrets, et vous pourrez me faire revenir à ma forme première et me délivrer.

Mabic, étonné, promet à la princesse enchantée de faire tout ce qui sera en son pouvoir pour la délivrer. Il monte au cabinet du magicien, consulte son petit livre rouge et y trouve ce qu’il cherchait.

Il rend la princesse à sa forme humaine et elle lui dit alors :

— Avisons, à présent, aux moyens de nous sauver d’ici. Allez d’abord prendre le sabre magique que vous êtes venu chercher. Vous le trouverez dans la salle d’armes, pendu à un clou au mur, à gauche en entrant. C’est un sabre en fer, rouillé et de pauvre apparence. Vous verrez là beaucoup d’autres sabres à la lame luisante et au manche garni de pierres précieuses ; mais, gardez-vous bien d’y toucher seulement. Prenez le sabre en fer rouillé, vous dis-je, et revenez aussitôt.

Mabic se rend à la salle d’armes et revient bientôt avec le sabre en fer rouillé.

— C’est bien, lui dit la princesse. Maintenant, il y a là, au haut de la plus haute tour, une cloche qui sonne d’elle-même, pour avenir le magicien, quand quelque chose d’extraordinaire arrive dans son château, et il revient aussitôt. Il faut la bourrer avec de la paille et des tapis, pour qu’elle ne sonne pas.

Mabic courut à la cloche et la remplit de paille et de tapis, qu’il maintint avec des cordes ; puis il revint.

— A présent, dit la princesse, remplissons nos poches d’or et de diamants, prenez l’étrille et le bouchon de paille de l’écurie, surtout n’oubliez pas le sabre rouillé, et partons.

Et ils partirent. Ils retrouvèrent, à la porte, le petit cheval noir et montèrent tous les deux dessus, et Mabic lui dit :

— Et bon train, mon petit cheval noir !

La cloche, à force de s’agiter, finit par se débarrasser de la paille et des tapis qui la remplissaient, et sonna bientôt. Le magicien l’entendit et arriva aussitôt. Il trouva la porte du cabinet défendu ouverte, la jument ou la princesse enchantée disparue, avec le petit-fils du roi de France, et, prenant le meilleur cheval de son écurie, il partit aussitôt à leur poursuite, avec un vacarme épouvantable, tonnerre, pluie, éclairs et feu !

— Regardez derrière vous, dit Mabic à la princesse, que voyez-vous ?

— Un grand nuage noir, qui s’avance sur nous, et qui lance des éclairs et du feu.

— C’est le magicien, et il est bien en colère ; jetez à terre le bouchon de paille.

Elle jette le bouchon de paille, et aussitôt une montagne, avec une forêt dessus, se dresse derrière eux. Le nuage s’y déchire et se trouve un peu arrêté dans sa marche. Il passe pourtant et se reforme de l’autre côté.

— Regardez derrière vous ; que voyez-vous ? dit encore Mabic à la princesse.

— Je vois le même nuage, qui s’avance sur nous, plus menaçant que jamais.

— Jetez l’étrille à terre, vite !

Elle jeta l’étrille, qui se changea aussitôt en une belle chapelle et Mabic devint un prêtre officiant à l’autel, et la princesse et le petit cheval noir devinrent un saint et une sainte, dans leurs niches, des deux côtés de l’autel.

Le magicien est étonné de voir cette chapelle, qu’il ne connaissait point. Il descend de son nuage pour la visiter et regarde longtemps la sainte, si jolie dans sa niche, et qu’il croit reconnaître. Il s’attarde à la regarder, et, quand il sort enfin de la chapelle, il se dit :

— J’ai eu tort d’entrer dans cette chapelle ; il ne me reste, à présent, qu’à m’en retourner à la maison.

Et il s’en retourne, en colère, et avec un vacarme terrible.

Nos fugitifs revinrent aussitôt à leur forme naturelle et sortirent bientôt du domaine du magicien, qui perdait dès lors tout pouvoir sur eux. Ils se séparèrent alors. La princesse se rendit chez son père, en Espagne, et Mabic et son petit cheval noir continuèrent leur route, repassant par où ils étaient venus[1].

Ils arrivent au château d’or et s’y arrêtent, comme Mabic l’avait promis.

— As-tu le sabre ? lui demandèrent les géants.

— Le voici ! dit-il, en le brandissant.

Et il tue et met facilement en pièces les quarante géants.

Puis, il poursuit sa route, arrive au château d’argent et massacre aussi les trente géants qui l’habitaient. Il en fait autant des douze géants du château de cristal, et, comme il en sortait, il rencontre une petite vieille qui lui dit :

— Tu es un terrible homme, avec ton sabre ; mais, mon fils, qui demeure seul dans le château de l’île, et qui tient ta mère en cage, saura bien venir à bout de toi.

— En attendant, vieille sorcière, je vais vous faire passer le goût du pain.

Et il lui fit sauter la tête de dessus les épaules, d’un coup de son sabre.

Un peu plus loin, il rencontra une autre vieille qui lui dit :

— Tu as donc réussi, mon fils ; tu tiens le sabre ?

— Oui, dit-il, je le tiens ; mais, comme je n’ai aucune confiance dans les vieilles sorcières comme vous, je vais vous faire voir s’il est bon.

— Ne me fais pas de mal, mon fils, reprit la vieille, car je ne te veux que du bien, et pour te le prouver, prends ce bouton, qui te sera utile ; car tu n’es pas encore au bout de tes épreuves. Quand tu te trouveras en danger ou en peine, il te suffira de le toucher, en pensant à moi, et j’arriverai aussitôt à ton secours.

Mabic prit le bouton et remercia la vieille. Il continua sa route et arriva, sans encombre, au château du géant, dans l’île.

— Rapportes-tu le sabre ? demanda le géant, dès qu’il le vit.

— Oui, le voici ! et il le lui montra.

— Nul homme au monde ne peut, à présent, lutter contre toi.

Mabic se rendit auprès de sa mère et lui demanda :

— Comment vous a-t-on traitée, ma mère, pendant mon absence ?

— Fort bien, mon fils, et je ne manque de rien ici.

Et pourtant, dès le lendemain de son départ, on l’avait encore enfermée dans la cage garnie de clous ; mais, le géant lui avait défendu d’en rien dire à son fils.

Un jour le géant dit à la mère de Mabic :

— Il faut que vous trouviez le moyen de prendre son sabre à votre fils, pour me l’apporter. C’est avec ce sabre qu’il a tué mes frères du château de cristal, du château d’argent et du château d’or, et aussi ma mère, et pendant qu’il l’aura, notre vie à nous-mêmes ne sera pas en sûreté. Si je tenais ce sabre, les châteaux et les trésors de mes frères m’appartiendraient, et je vous épouserais, et nous serions heureux ensemble.

La mère invita son fils à se promener avec elle, dans les jardins du château. Le temps était beau et les fleurs exhalaient des parfums enivrants. Ils s’assirent sur le gazon. Mabic appuya sa tête sur les genoux de sa mère, qui se mit à y chercher des poux. Il s’endormit et elle lui prit son sabre, qu’il ne quittait jamais, et le porta au géant. Quand celui-ci tint le précieux talisman, il courut au jardin et coupa les deux poignets de Mabic, qui dormait toujours. Puis, il l’attacha à un poteau, dans une auge profonde remplie d’eau, glacée, qui lui montait jusqu’aux épaules. La mère aussi fut enfermée de nouveau dans la cage garnie de clous aigus.

— Me voilà maître, à présent : je tiens le sabre ! s’écriait le géant, dans sa joie.

Mais, Mabic se rappela alors le bouton qui lui avait été donné par la petite vieille qu’il rencontra au sortir du château d’or. Il le toucha de son moignon droit, et aussitôt la vieille arriva et dit :

— Me voici ! Qu’y a-t-il pour votre service, mon fils ?

— Voyez, grand’mère, à quel état pitoyable je suis réduit !

— Je le sais, dit-elle ; je vais d’abord vous rendre vos mains.

Et elle court au jardin, en rapporte les mains coupées et les rajuste aux moignons ; puis elle retire Mabic de l’auge et lui dit :

— Allez, à présent, à la chambre du géant : il dort, et le sabre enchanté est sur une table, près de son lit. Prenez-le et coupez-lui la tête.

Il va et, d’un seul coup, tranche la tête du monstre.

Il voit, dans sa cage garnie de clous aigus, sa mère qui lui crie :

— Retire-moi d’ici, mon fils !

— C’est vous qui êtes la cause de tous nos maux, lui dit-il.

Et il lui tranche aussi la tête.

Il se rend ensuite à l’écurie. Le petit cheval noir, qui l’a accompagné dans ses voyages, lui dit :

— Je suis ton père, et j’ai pris cette forme pour pouvoir t’être encore utile, après ma mort. Il ne te reste, à présent, qu’à te rendre à la pauvre habitation où tu es né, dans l’île. Tu y trouveras des papiers qui établissent clairement que tu es le petit-fils du roi de France, et tu iras avec ces papiers trouver ton grand-père, à Paris. Quant à moi, j’ai terminé ma pénitence, en expiation de mes péchés, et je vais à présent au Paradis. Ta mère, elle, ira dans l’enfer, pour y remplacer la princesse métamorphosée en jument, que tu en as retirée.

Et, ayant dit ces paroles, il disparut.

Mabic suivit de point en point ses instructions, et se rendit à Paris, muni des papiers qui établissaient sa filiation.

— Bonjour, grand-père, dit-il en se présentant devant le roi.

— Ton grand-père ?... Comment cela ? demanda le vieux monarque.

— Oui, vous êtes bien mon grand-père. Ne vous rappelez-vous pas que vous dîtes, un jour, que la mère du premier bâtard qui naîtrait dans votre capitale serait mise à mort ?

— Oui, je me le rappelle ; mais, quel rapport ?...

— C’est que ce premier bâtard naquit de votre fils et de votre fille, et c’est moi. Vos enfants quittèrent votre royaume, pour éviter la mort, et je naquis dans une île déserte, loin d’ici.

— Quelle preuve pouvez-vous fournir de tout cela ?

— Voici, examinez.

Et il lui présenta les titres qu’il avait rapportés de l’ile.

Le roi les examina, et s’écria, transporté de joie :

— Je croyais que je n’aurais jamais d’héritier légitime de ma couronne, et voici que Dieu m’en envoie un ! Qu’on célèbre ce jour heureux par des festins et des réjouissances publiques.

Et il y eut de grands festins et de belles fêtes, pendant plusieurs jours.

Le vieux roi mourut, peu après, et Mabic lui succéda sur le trône[2].


(Conté par Jacques Vihan (Petit-Jacques), âgé de
15 ans, de Lannion. — Mai 1875.)




  1. C’est à tort, croyons-nous, que le conteur renvoie ainsi la princesse dans son pays, pour ne plus nous parler d’elle. La logique et les habitudes des contes populaires exigent qu’elle reparaisse, au moins au dénoûment, pour épouser le héros.
    Il nous semble encore étrange que le petit cheval noir pût être le père de Mabic, lorsqu’il était au service du géant, et qu’il conduise le prince au château de celui-ci. Ce conte porte des traces évidentes d’altérations profondes, qui proviennent sans doute du défaut de mémoire du conteur, qui était jeune : 14 ou 15 ans.
  2. Cette fin est altérée ; selon les lois ordinaires des contes populaires, la princesse, délivrée du château du magicien, devrait y intervenir pour épouser le héros.