Contes populaires de Basse-Bretagne/La Princesse métamorphosée en souris



II


LA PRINCESSE MÉTAMORPHOSÉE EN SOURIS
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Selaouit holl, mar oc’h eus c’hoant,
Hag e clewfet eur gaozic koant.
Ha na eûs en-hi netra gaou,
Mès, marteze, eur gir pe daou.

Ecoutez tous, si vous voulez,
Et vous entendrez un joli petit conte,
Où il n’y a pas de mensonge,
Si ce n’est, peut-être, un mot ou deux.



IL y avait, une fois, un roi de France, déjà âgé, et qui n’avait pas d’enfants, ce qui le chagrinait beaucoup.

Enfin, la reine donna le jour à une fille, alors qu’ils commençaient à désespérer, et sa naissance fut célébrée par des festins et des fêtes.

Mais, une vieille sorcière, qui habitait un bois voisin, et qui n’avait pas été invitée aux fêtes, résolut de s’en venger, en métamorphosant la princesse en souris et en la maintenant sous cette forme, jusqu’à ce qu’on vît rire une sœur à elle qu’on n’avait jamais vue rire.

Un jour que la nourrice venait de donner à téter à l’enfant, dans le palais, on l’entendit tout à coup s’écrier :

— Ah ! mon Dieu ! voilà que la princesse vient de s’échapper de mes bras, sous la forme d’une souris !...

— Quel malheur ! s’écria le roi, mais, c’est la volonté de Dieu, et il faut s’y résigner.

Peu de temps après, une guerre survint entre le roi de France et le roi d’Espagne. Le roi de France était à cheval, dans la cour du palais, prêt à partir, lorsqu’il vit sa fille, devenue souris, (car on ne l’avait pas perdue de vue et on en prenait le plus grand soin), accourir vers lui et dire :

— Je veux aller avec vous à la guerre, mon père.

— Qu’y veux-tu faire, ma pauvre enfant, dans l’état où tu es ?

— Ne craignez rien et emmenez-moi avec vous, vous dis-je ; mettez-moi dans l’oreille de votre cheval et partons.

Le roi mit la souris dans l’oreille de son cheval, et ils partirent.

Quand on fut sur le champ de bataille, en présence de l’ennemi, on entendit soudain une musique ravissante, et, des deux côtés, on resta silencieux et immobile pour l’écouter.

— Oh ! la charmante musique ! s’écria le fils du roi d’Espagne ; mais d’où vient-elle ? Il faut que je le sache.

Les soldats des deux camps, en entendant cette mélodie, étaient plus tentés de s’embrasser que de se battre.

Le fils du roi d’Espagne alla trouver le roi de France et lui demanda :

— Que signifie, sire, cette musique et d’où vient-elle ?

— C’est ma fille qui chante, répondit le roi.

— Votre fille !... mais, où donc est-elle ?

— Ici, près de moi, dans l’oreille gauche de mon cheval.

— Vous vous moquez de moi ?

— Nullement, je vous dis la vérité.

— Eh bien ! si vous voulez m’accorder sa main, la guerre est terminée entre nous.

— Quoi ! vous épouseriez une souris ?

— Une souris ?... Eh bien ! oui, si elle veut de moi ?

— Je le veux bien, mon père, s’empressa de répondre la souris.

La guerre en resta donc là, on célébra le mariage, et les deux armées, au lieu d’en venir aux mains, prirent part aux réjouissances et aux festins qui eurent lieu, pendant huit jours entiers, et fraternisèrent, le verre en main.

Le roi d’Espagne avait deux autres fils, qui étaient aussi mariés : l’un à la fille du roi de Portugal, et l’autre à la fille du roi de Turquie. Leur père les appela un jour tous les trois auprès de lui et leur dit que son intention était de céder sa couronne à son fils aîné et de finir ses jours dans le repos et la tranquillité.

— Je pense, mon père, lui dit le puîné, qu’il serait plus juste de céder votre couronne à celui de nous qui accomplira le plus bel exploit, car nous sommes tous les trois vos enfants, au même titre.

— Eh bien ! répondit le vieux monarque, je vais vous mettre à l’épreuve : ma couronne sera à celui qui m’apportera la plus belle pièce de toile.

— C’est cela, répondirent les trois frères.

Et ils s’en retournèrent chacun chez soi, pour faire part à leurs femmes de la volonté de leur père.

Quand le cadet, le mari de la souris, arriva chez lui, sa femme l’attendait au soleil, sur une des fenêtres du palais, et chantait de sa voix la plus mélodieuse.

— Assez de musique comme cela ! lui dit-il, je préférerais que vous fussiez une habile filandière.

— Pourquoi donc ? Qu’y a-t-il de nouveau ? demanda-t-elle.

— Eh bien ! il y a de nouveau que mon père a promis de céder sa couronne à celui de ses trois fils qui lui apportera la plus belle pièce de toile.

— Bast ! la couronne de mon père à moi vaut cent fois celle du vôtre ; ne vous en inquiétez donc pas et laissez vos deux frères se disputer la couronne d’Espagne avec de la toile.

— Non, car, quelque belle que puisse être la couronne de votre père, je ne veux pas renoncer ainsi à celle du mien.

La veille du jour fixé pour présenter les toiles au vieux roi, notre prince se plaignait de la sorte à sa femme :

— C’est demain que l’on doit présenter les toiles à mon père, et je n’ai rien à lui montrer : comment faire ?

— Rassurez-vous et ne vous inquiétez pas pour si peu, lui dit la souris : prenez cette boîte (et elle lui donna une jolie petite boîte, bien fermée), et quand vos deux frères auront montré leurs toiles, ouvrez-la, et vous y trouverez de quoi leur faire honte.

— Comment voulez-vous que cette petite boîte puisse contenir une pièce de toile propre à me faire gagner ?

Le prince partit en emportant la boîte, mais, peu rassuré.

Quand il arriva au palais de son père, il vit, en entrant dans la cour, plusieurs mulets chargés de ballots contenant les toiles que ses frères rapportaient de différents pays lointains.

On présenta les toiles au roi. Il les examina minutieusement et vanta fort la beauté, la finesse et le moelleux de certaines d’entre elles.

— Et toi, mon jeune fils, qu’apportes-tu ? de-manda-t-il au cadet, quand son tour fut venu.

Celui-ci, pour toute réponse, présenta sa boîte en disant :

— Ouvrez-la, mon père.

Ses deux frères partirent d’un grand éclat de rire. Mais, le roi ouvrit la boîte, et aussitôt il s’en élança un bout de toile fine et luisante comme de la soie ; les toiles des deux autres étaient comme un grossier tissu de chanvre, comparées à celle-là ; et ce qu’il y avait de plus merveilleux, c’est qu’elle paraissait inépuisable, car on avait beau en tirer de la boîte, on n’en trouvait pas la fin.

Les deux princes aînés ne riaient plus.

— C’est à mon fils cadet que sera ma couronne, dit le vieux roi, émerveillé.

— Holà ! se récrièrent les deux autres, dépités, il ne faut pas se hâter de juger ainsi, sur une première épreuve ; exigez-en une seconde, sire, et nous verrons après.

— Je le veux bien, dit le roi ; mais, que de-manderais-je bien pour la seconde épreuve ?

— Promettez votre couronne à celui de nous qui vous amènera la plus belle femme, dit l’aîné, qui était marié à la fille de l’empereur de Turquie, princesse d’une beauté merveilleuse.

— C’est cela ! répondit le vieux roi, à celui qui amènera la plus belle femme.

Et les trois frères partirent encore, chacun de son côté.

Le cadet s’en retourna tout triste, et convaincu qu’il ne pouvait concourir, cette fois, sa femme étant une souris.

— Pourquoi êtes-vous si triste, prince ? lui demanda celle-ci, en voyant sa mine piteuse ; est-ce que ma boîte n’a pas fait son devoir ?

— La boîte s’est merveilleusement conduite.

— La couronne d’Espagne est à vous, alors ?

— La couronne d’Espagne !... Ah ! je ne suis pas près de l’obtenir.

— Et pourquoi cela ?

— C’est que mon père demande une seconde épreuve.

— Quelle est-elle ? Dites-moi, je vous prie.

— A quoi bon ?

— Dites toujours, pour voir.

— Eh bien ! sur la demande de mon frère ainé, qui est marié à la fille de l’empereur de Turquie, mon père a dit que sa couronne appartiendra à celui de ses trois fils qui lui présentera la plus belle femme, et vous comprenez...

— Si ce n’est que cela, rassurez-vous et ayez confiance en moi.

Quand le jour fut venu où l’on devait présenter les femmes au roi, la souris dit au prince son mari :

— J’irai avec vous chez votre père.

— Ce n’est pas une souris qu’il me faut pour me présenter devant mon père, répondit-il, mais bien une femme, une belle femme.

— Ne vous inquiétez de rien, vous dis-je, et emmenez-moi avec vous.

— Pour me faire honte ?...

Et aussitôt il monta dans son carrosse et partit, laissant la souris à la maison. Mais, celle-ci dit à un jeune pâtre, qui s’apprêtait à partir avec ses moutons :

— Pâtre, attrape-moi ce grand coq rouge, que tu vois là-bas, au milieu de ses poules, et mets-lui à la bouche une bride d’écorce de saule, afin que je monte sur son dos, pour aller rejoindre mon mari, chez mon beau-père.

Le pâtre fit ce qu’on lui commandait, et la souris monta sur le dos du coq, prit entre ses pattes de devant la bride en écorce de saule et partit pour la cour d’Espagne. Elle alla passer, dans cet équipage, devant le château de la sorcière qui l’avait métamorphosée en souris. Il y avait là une mare bourbeuse, et le coq ne voulait pas y entrer. La souris avait beau lui crier : Hop ! hop !... en avant !... quand il avait fait un pas en avant, il en faisait deux en arrière. La sœur de la sorcière était à sa fenêtre, et, en voyant ce manège, elle partit d’un grand éclat de rire, qui fit retentir tous les échos du château. La sorcière accourut et, voyant ce qui avait fait rire sa sœur, elle dit à la souris ;

— Le charme est rompu ! Je t’avais métamorphosée en souris, jusqu’à ce que j’entendisse rire ma sœur. Elle a ri, et te voilà délivrée. Dès à présent, tu deviens la plus belle princesse qui soit sous le regard du soleil, et ta bride se change en un beau carrosse doré et le coq rouge devient un cheval superbe.

Et, en effet, tout ce changement s’opéra, en un clin-d’œil.

— Va maintenant, ajouta la sorcière, va à la cour du roi ton beau-père, et ne crains pas qu’il y arrive une autre plus belle que toi.

La princesse continua sa route, dans ce brillant équipage, et eut bientôt atteint son mari, qui ne se pressait pas.

— Comment, vous n’en êtes encore que là ! lui dit-elle.

Le prince, étonné et ne reconnaissant pas sa femme, dans une si belle princesse, ne répondit pas.

— Allons ! reprit-elle, venez dans mon carrosse, à côté de moi, et laissez là votre vilaine charrette et la rosse qui vous traîne.

— Ne vous moquez pas de moi, princesse, répondit-il enfin, parce que votre carrosse est plus beau et votre cheval meilleur que le mien.

— Mais regardez-moi donc bien et reconnaissez votre femme.

— Non, vous n’êtes pas ma femme, malheureusement ; ma femme est la fille du roi de France, et elle a été métamorphosée en souris, par une méchante sorcière : quoi qu’il en soit, je l’aime comme elle est.

La princesse lui conta alors comment les choses s’étaient passées, et finit par le convaincre, bien qu’avec peine, qu’elle était réellement la fille du roi de France, sa femme.

Ils continuèrent ensuite la route, dans le carrosse doré, tout resplendissant de lumière, et arrivèrent bientôt à la cour du roi d’Espagne. Leur arrivée fit sensation, et on ne pouvait se lasser d’admirer et la princesse et son carrosse et son cheval. La cour du palais était tout illuminée de leur éclat et de leur beauté. Les deux princes aînés avaient de belles femmes, assurément, mais, quand ils virent celle de leur cadet, ils en furent tout confus et troublés. Le vieux roi, tout joyeux et ragaillardi, à la vue d’une beauté si parfaite, lui présenta la main, pour descendre de son carrosse, et lui dit :

— Vous êtes la plus belle princesse que mes yeux aient jamais vue, et la plus digne de vous asseoir sur le trône d’Espagne, à côté de mon fils cadet.

Le soir, il y eut un grand festin, où le roi voulut avoir la princesse à côté de lui, à table. Celle-ci, à chaque plat qu’on lui présentait, à chaque liqueur qu’on lui versait, en mettait un morceau et répandait une goutte dans son giron, ce qui étonnait tous les convives.

Après le repas, il y eut des danses, et quand la princesse dansait, elle semait sur ses pas des perles et des fleurs, qui tombaient, sans s’épuiser, des plis de sa robe. Ses deux belles-soeurs étaient toutes pâles de dépit.

Le lendemain, les fêtes et les festins recommencèrent, et les femmes des deux princes aînés mirent aussi dans leur giron un morceau et une goutte de tout ce qu’on leur présenta à table, dans l’espoir de les voir se changer également en perles et en fleurs. Mais, hélas ! quand commencèrent les danses, ce n’est pas des perles et des fleurs qu’elles semaient sur leurs pas, comme leur belle-sœur, mais bien des rogatons et des sauces, dont leurs belles robes étaient toutes tachées et souillées, si bien que leurs danseurs avaient honte d’elles et s’éloignaient. Bien plus, les chiens et les chats, attirés sur leurs traces, de tous les points du palais, envahirent la salle de bal, aboyant et miaulant, et mirent partout le désordre.

Le vieux roi, voyant cela, entra dans une belle colère, et chassa de son palais ses deux fils aînés et leurs femmes. Puis, il abdiqua en faveur de son fils cadet.

Jusqu’à présent, j’ai pu les suivre et vous raconter fidèlement leur histoire ; mais, j’ignore ce qu’ils devinrent, dans la suite, et, comme je ne veux rien inventer, je ne vous en dirai pas plus long.


Conté par Catherine Doz, femme Colcanab, maçon. —
Plouaret, janvier 1869.